Deux Chiens passaient le long d’un fleuve ; comme ils le regardaient, ils y aperçurent une pièce de chair qui flottait assez loin d’eux. Alors l’un dit à l’autre : ” Camarade, il nous faut bien garder de manquer cette proie, et pour l’atteindre, j’imagine un expédient qui me semble sûr. Toute cette eau qui coule entre ce que tu vois et la rive où nous sommes, nous pouvons la boire. Or, sitôt que nous l’aurons bue, tu conçois bien qu’il faut que l’endroit où ce friand morceau flotte, reste à sec, et ainsi il nous sera fort aisé d’arriver jusqu’à lui. Compte, mon cher, qu’il ne peut nous échapper “. Et cela dit, ils en burent tous deux de telle sorte, qu’à force de se gonfler d’eau, ils perdirent bientôt haleine, et crevèrent sur la place.
” Les Chiens affamés “ – Des chiens affamés virent des peaux qui trempaient dans une rivière. Ne pouvant les atteindre, ils convinrent entre eux de boire toute l’eau, pour arriver ensuite aux peaux. Mais il advint qu’à force de boire ils crevèrent avant d’atteindre les peaux.
Ainsi certains hommes se soumettent, dans l’espérance d’un profit, à des travaux dangereux, et se perdent avant d’atteindre l’objet de leurs désirs.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Les Loups
Un jour, des loups trouvèrent des peaux de bœuf qui trempaient dans un réservoir d’eau. Comme il n’y avait la personne, ils convinrent de les manger, et se décidèrent à boire toute l’eau pour arriver à ces peaux et les dévorer. Mais ils burent tant, qu’ils crevèrent tous et moururent avant d’y parvenir.
Cette fable signifie
celui qui, manquant de jugement, veut faire ce qui lui est impossible.
- Luqman (Locman ou Loqman) XIe siècle av. J.-C.
Les deux Chiens et l’Ane mort
Les vertus devraient être sœurs,
Ainsi que les vices sont frères.
Dès que l’un de ceux-ci s’empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file; il ne s’en manque guères.
J’entends de ceux qui, n’étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.
A l’égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.
L’un est vaillant, mais prompt; l’autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux, le chien se pique d’être
Soigneux, et fidèle à son maître;
Mais il est sot, il est gourmand:
Témoin ces deux mâtins qui, dans l’éloignement,
Virent un âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l’éloignait de nos chiens.
« Ami, dit l’un, tes yeux sont meilleurs que les miens:
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes;
J’y crois voir quelque chose. Est-ce un bœuf, un cheval?
– Eh! qu’importe quel animal?
Dit l’un de ces mâtins; voilà toujours curée.
Le point est de l’avoir; car le trajet est grand;
Et de plus, il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau; notre gorge altérée
En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine.»
Voilà mes chiens à boire: ils perdirent l’haleine,
Et puis la vie; ils firent tant
Qu’on les vit crever à l’instant.
L’homme est ainsi bâti: quand un sujet l’enflamme,
L’impossibilité disparaît à son âme.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,
S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire!
« Si j’arrondissais mes Etats!
Si je pouvais remplir mes coffres de ducats !
Si j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire!»
Tout cela, c’est la mer à boire;
Mais rien à l’homme ne suffit.
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
Il faudrait quatre corps; encor, loin d’y suffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureraient:
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu’un seul désire.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)