Fable Le Loup et le Chien, analyses de MNS Guillon – 1803.
Fable Le Loup et le Chien par La Fontaine
(1) Tant les Chiens faisaient bonne garde. Le poète se hâte de commencer son récit : voilà pourquoi la connexion des idées n’est qu’indiquée, Le Loup vit de sa chasse j il est condamné à faire maigre chère quand le gibier dont il fait sa proie est bien défendu.
(2) Poli,comme on dit : luisant de graise. Emprunté de l’ancien langage. Le poète Villon avait dit :
Corps féminin qui tant es tendre,
Poli , souef (suave), et gracieux. Qui s’était fourvoyé ( égaré ) ; on disait autrefois forvoyer, être hors de son chemin. Jean, de Meun dans le Roman de la Rose:
Sous les arbres sans forvoyer. ( Vers 1297. )
L’observation du poète n’a rien d’oiseux; la rencontre du Chien. en liberté, ne contredit point son état habituel d’esclavage; il n’est libre que par hasard, par contre-bande.
(3) Peu de traits de ce joli tableau qui n’aient été dérobés par quelque moderne. M. l’abbé Aubert parlant d’un brochet: Celui-ci n’était pas de taille A se laisser avaler aisément. ( Liv. VI. fab. 19 )
(4) Ce Loup rencontre , etc. Tout ce récit est admirable. Chien, et loups sont ennemis par instinct ; ils ne se rencontrent pas sans en venir aux prises. Mais ici la partie n’était pas égale, le Loup la bien senti; il tient conseil en lui-même; en conséquence du plan arrêté ; Le Loup donc l’aborde ; c’est au plus faible à faire les avances. Son air humble désarme son ennemi, il s’insinue dans son esprit par des compliments , amorce à laquelle on résiste peu, mais de ces compliments qui naissent d’eux-mêmes de l’admiration. La Fontaine est le premier qui ait su transporter ainsi dans la fable, la peinture des mœurs et de la société. C’est le Molière de l’apologue.
(5) La réponse du Chien laisse percer jusque dans sa simplicité et son apparente bonhomie, un certain air de protection qui se reconnoît à son langage familier, à ses conseils pressans, à l’accumulation des termes méprisans dont il qualifie la condition du Loup.’ Vos pareils est bien plus délicat que si l’application étoit directe: Cancres , malheureux à qui rien ne réussit, qui semblent, comme l’écrevisse , reculer au lien d’avancer : cet homme est un gueux , un pauvre cancre (Wailly, Trévoux , etc. ) Heres , même sens, On écrivait autrefois haire; sur une ancienne inscription rapportée par l’abbé Massieu ( Hist de la Poésie franc, p.3o2. ) , on lisait:
Haires, cagots, caffards, etc.
Ce mot vient sans doute de l’allemand herr, qui l’avait emprunté du latin herus, pauvre seigneur. Er ist nicht weitherr, il ne vaut pas grand-chose ( proverbe allemand ). Depuis il est devenu commun :
Un pauvre hère et son grison
Avaient à jeun fait longue route. Rich. Martelli, Liv. II. fab. II.
Un autre fabuliste retranche l’épithète :
Sommes-nous pas égaux ?
— On étrangle le hère, Le Jeune. ( Liv. IV. fab. 7. ) Point de franche lippée, etc. Ce que les lèvres (Lipp, vieux mot saxon et français ) peuvent saisir. Franc, exempt de combat , sans obliger de tirer l’épée; voilà comme l’expliquent Ménage, les auteurs de Trévoux, l’éditeur de Régnier. « Le roi d’Angleterre emportait toujours quelque lippée pour sa part. » ( Sat, ménippée, T. I. pag. 160.) Ces mots surannés ou étrangers servent bien l’illusion de l’apologue, en paraissant reporter à des époques reculées l’action qu’il met sous nos yeux.
(6) Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Quelle est l’âme tendre qui n’ait connu ces douces émotions dont l’âme se pénètre au seul rêve du bonheur, et qui, comme une vapeur légère, baigne les yeux de larmes délicieuses ? Il est très-plaisant de prêter ces effusions de sensibilité à un animal tel que le Loup. — Florian a imité cette pensée dans sa fable du Vieux Arbre et du Jardinier. L. II. fab. 3. (7) Qu’est-ce là, etc. Remarquez encore la précision et le naturel de ce dialogue traduit de Phèdre.
(8) Le collier dont je suis attaché. J’ai entendu blâmer cette construction. On peut la justifier par l’ellipse, comme s’il y avait : le collier dont on se sert pour m’attacher.
(9) De ce que vous voyez est peut-être la cause.— De ce que vous voyez, il a peur de prononcer le mot. Peut-être, il n’en est pas bien sûr ; tant il en est honteux,
(10) Et ne voudrais pas même a ce prix un trésor. «Un Loup n’a que faire de trésor. » ( Champfort. ) Pourquoi non ? Phèdre lui fait bien refuser un royaume.
(11) S’enfuit et court encor. Hyperbole pleine de gaîté, de-venue proverbe. Puis il s’enfuit et court encor, Sans tourner la tête eu arrière, a dit M. Dardenne (Liv. I. fab. 5o. ). Le second vers est de trop. Ce même M. Dardenne, qui a tant de choses à se faire pardonner, reproche à notre apologue d’être trop long, et il le compare avec le quatrain de Benserade, vraiment admirable ici pour son laconisme. Que faut-il en conclure ? que la miniature de Benserade est un chef-d’œuvre de précision , et que le tableau peint par La Fontaine, est un chef-d’œuvre de gaîté, de goût et de naturel. Le poète n’a point expliqué le sens moral de sa fable ; il n’en avait pas besoin. Les autres fabulistes ne sont pas aussi discrets, ils font en termes pompeux l’éloge de la liberté.
Sans elle rien n’est doux, l’esclave l’apprécie
Au poids dont le malade estime la santé, a dit un des plus heureux imitateurs de La Fontaine. Gay , dans son bel apologue du Conseil des Chevaux, si bien traduit par Rivery, oppose à cette douce amorce les leçons de la raison, de l’expérience et de la nécessite. Nous conclurons avec Favart : fable du Serein et du Moineau, dans son opéra comique le Prix de Cytèré:
Qu’une liberté vagabonde
Vaut beaucoup moins, tout bien compté ,
Qu’une douce captivité. (Fable Le Loup et le Chien analysée)