Quel mal nous fait la prévoyance !
Combien d’honnêtes gens en France,
Sont malheureux de trop prévoir !
Et combien je voudrais alléger leur souffrance !
Le présent, je le sais, se montre assez en noir,
Et le passé, sans doute éveille la prudence ;
Mais notre présent même est-il donc sans espoir ?
Mais n’est-ce point blesser la Providence
Que d’abréger ses jours pour trop s’inquiéter ?
De l’avenir bien fou qui peut se tourmenter,
Horace l’avait dit : Tel qui ne veut l’en croire,
Peut-être de Guillot en croira-t-il l’histoire.
Dans sa bourse Guillot avait pour vivre un mois,
« Un seul mois, disait-il ! dieux ! quelle est ma misère !
» Après ce mois, hélas ! que vais-je faire ?
» Mourir ! et jusque-là je mourrai trente fois !
» Mourons. »—il meurt : comment ? ce n’est point mon affaire ;
Mais ce fut de chagrin, je crois. Son Héritier accourt :
« Ô ciel ! la bonne aubaine !
» Voici de quoi, dit-il, soulager notre peine,
» Voici contre le sort de quoi nous prémunir ;
» Cent francs ! et mon travail ! le Ciel fera le reste.
» Le ciel le fit. Du mort gardant le souvenir,
Il fut heureux long-temps, grâce à l’appui céleste,
Et surtout se troublant fort peu de l’avenir.
“Guillot et son héritier”