Pañchatantra ou fables de Bidpai
Contes et fables Indiennes
Salut à Sri Ganésa * ! (1)
Que Rrahmâ, Roudra, Koumâra, Hari, Varouna, Yama, Vahni, Indra, Kouvéra, Tchandra et Adilya, Saraswatî, l’Océan, les Nuages, les Montagnes, Vâyou, la Terre, les Serpents, les Siddhas, les Rivières, les deux Aswins, Srî, Diti, les fils d’Aditi, Tchandikâ et les autres Mères, les Védas, les Tîrthas, les Sacrifices, les Ganas, les Vasous, les Mounis et les Planètes protègent toujours.
On raconte ce qui suit :
Il est dans la contrée du Sud une ville appelée Mahilâropya. Là il y avait un roi nommé Amarasakti, arbre-kalpa de toutes les sciences, aux pieds duquel brillaient en foule les rayons des joyaux de la couronne des souverains les plus éminents, et qui possédait la connaissance de tous les arts. Ce prince avait trois fils très-sots, qui se nommaient Bahousakti, Ougrasakti et Anantasakti. Voyant qu’ils avaient de l’aversion pour les sciences, le roi fît appeler ses conseillers, et leur dit : Vous savez que mes fils que voici ont de l’aversion pour les sciences et manquent de jugement. Aussi, quand je les vois, mon royaume, quoique délivré de tout embarras, ne me donne pas de satisfaction. Et certes on dit avec raison :
De n’avoir pas de fils, ou d’avoir perdu le sien, ou d’en avoir un sot, ce qui est préférable c’est de n’avoir pas de fils ou d’avoir perdu le sien, car un fils que l’on n’a pas et un fils mort ne causent qu’un chagrin de courte durée, tandis qu’un sot est un sujet d’affliction pour toute la vie.
Que fait-on d’une vache qui ne donne niveau ni lait ? A quoi sert-il d’avoir un fils qui n’est ni sage ni pieux ?
Mieux vaut certes ici-bas la mort d’un fils que l’imbécillité d’un fils de bonne famille, à cause duquel, au milieu des sages, un homme est aussi honteux que celui qui est né d’un adultère.
Si celle-là est mère qui a donné le jour à un fils à qui l’enthousiasme ne fait pas tomber la craie des mains quand il commence à énumérer la foule des gens de mérite, dites : Qu’est-ce que la femme stérile ?
Mieux vaut l’avortement, mieux vaut l’abstinence de commerce charnel dans les moments convenables, mieux vaut une épouse stérile, mieux vaut aussi la naissance d’une fille, mieux vaut un enfant mort-né, mieux vaut aussi un fœtus resté dans le sein de la mère, qu’un fils sans intelligence, aurait-il même en partage la beauté, la richesse et des qualités.
Un seul fils de mérite, de race pure, et faisant de belles actions, est l’ornement de toute sa famille, comme une perle est l’ornement d’un diadème.
II faut donc, par un moyen quelconque, faire en sorte que leur intelligence s’éveille.
Alors les conseillers dirent les uns après les autres : Majesté, il faut déjà douze ans pour apprendre la grammaire ; si on la sait en quelque façon, moyennant qu’on prenne la peine d’étudier le devoir, l’intérêt, le plaisir et la délivrance finale, le réveil de l’esprit a lieu.
Cependant un des conseillers, nommé Soumati, dit : Majesté, la durée de cette vie n’est pas éternelle, la science des mots ne s’apprend qu’en beaucoup de temps. Cherchons donc-un moyen abrégé pour l’instruction de vos fils. Et l’on dit :
La science des mots est certes infinie, la vie est courte et les obstacles sont nombreux ; il faut par conséquent prendre la substance et laisser de côté ce qui est inutile, de même que le cygne extrait le lait du milieu des eaux.
Majesté, il y a ici un brâhmane nommé Vichnousarman, renommé pour son talent dans plus d’une science. Confiez-lui vos fils, il les instruira certainement en peu de temps.
Le roi, après avoir entendu cela, fit appeler Vichnousarman et lui dit : Hé, grand sage ! Pour me rendre service il faut tacher de faire en peu de temps de mes fils que voici des hommes sans pareils pour la science de la politique. Je te donnerai cent concessions de terres. Alors Vichnousarman dit au roi : Majesté, écoutez ; ce que je vais dire est la vérité. Je ne vends pas la science, même au prix de cent concessions de terres ; mais si en six mois je n’apprends pas à ces jeunes princes la science de la politique, alors je veux perdre mon nom. Que dirai-je de plus ? Ecoutez ce dont je me vante. Je ne parle pas en homme qui désire des richesses. Comme j’ai quatre-vingts ans et que j’ai renoncé à toutes les choses des sens, je n’ai aucun besoin de richesses ; mais pour remplir votre désir, je me livrerai au divertissement de Saraswatî. Que l’on écrive donc la date du jour où nous sommes : si dans l’espace de six mois je ne fais pas de vos fils des hommes sans pareils pour la science de la politique, alors, que la divinité qui me protège ne me montre pas le chemin des dieux !
Le roi, lorsqu’il eut entendu cela, fut charmé ; il confia respectueusement ses fils au brahmane, et éprouva la plus grande satisfaction. Vichnousarman emmena les jeunes princes, alla chez lui, et, après avoir composé pour eux ces cinq livres,
- la Désunion des Amis,
- l’Acquisition des Amis,
- la Guerre des Corbeaux et des Hiboux,
- la Perte du bien acquis,
- et la Conduite inconsidérée (fin)
il les leur fit lire. Et les étudiants, les princes, à la satisfaction du roi, devinrent en six mois tels que l’avait dit le brahmane. Depuis lors ce traité de politique, intitulé Pantchatantra, sert sur la terre à l’instruction des enfants. Bref :
Celui qui, ici-bas, lit ou entend lire continuellement ce traité de politique, n’est jamais vaincu, même par Sakra (2) .
1 Ganesh ; Fils de Siva et de Pârvati, et dieu de la sagesse. Il est représenté avec une tête d’éléphant.
2 Nom du dieu Indra.
- Panchatantra 1