Une Belette
Un peu maigrette,
S’étoit, par un trou fort petit,
Glissée en un grenier où regnoit l’abondance ;
Après avoir fait là plusieurs jours la bombance,
Et satisfait son appétit,
On peut bien croire
Quelle eut besoin d’aller dehors,
Afin de boire ;
Comme elle faisoit donc d’inutiles efforts,
Pour pouvoir repasser par la même ouverture ;
Madame, lui dit un Renard
Qui l’apperçut par aventure.
Vous me paroissez grasse à lard.
En ce grenier quand vous êtes entrée,
Vous n’étiez pas, je crois, si bien fourrée,
Ou, pour m’expliquer clairement,
Vous aviez la panse moins pleine ;
Eh bien, jeûnez présentement
Tout le reste de la semaine,
Et maigre comme auparavant,
Vous pourrez en sortir sans peine.
On donne souvent des avis
Qui ne sauroient être suivis.
Si c’est votre plaisir, prêchez la patience ;
Mais un peu de secours vaudroit bien mieux, je pense.
“La Belette et le Renard”
La Belette entrée dans un Grenier, par La Fontaine
Damoiselle Belette, au corps long et flouet,
Entra dans un grenier par un trou fort étroit* :
Elle sortait de maladie.
Là, vivant à discrétion,
La galante fit chère lie,
Mangea, rongea : Dieu sait la vie,
Et le lard qui périt en cette occasion !
La voilà, pour conclusion,
Grasse, maflue et rebondie.
Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s’être méprise.
Après avoir fait quelques tours,
« C’est, dit-elle, l’endroit : me voilà bien surprise ;
J’ai passé par ici depuis cinq ou six jours. »
Un rat, qui la voyait en peine,
Lui dit : « Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l’on le dit à bien d’autres.
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres. »
*Etrouet, prononciation possible à l’époque. (Ref CNRTL)