Autrefois certaine Toinette,
Non pas de celles que Watteau
Sur les murs de quelque château
A peintes en jupe coquette,
Portant petit chapeau de faveurs entouré,
Et froissant de sa main mignonne
La houlette au ruban doré,
Mais une franche Bourguignonne,
Sans falbalas et sans atours,
Faisait aux pâtres, ses amours,
Des bouquets sans pareils.
On dit que les marquises,
De ce don naturel éprises,
N’avaient pas assez d’or pour payer largement
Tout son ouvrage, et que fort aise
D’en parer quelqu’objet charmant,
Près d’elle maints seigneurs se rendaient dans leur chaise,
Louant en se faisant chalands
Ce goût exquis et pur, dont les plus grands talents
N’auraient pas fait meilleur usage.
Admirant des fleurs l’assemblage,
Ils demeuraient surpris qu’une pauvre Toinon
En sût plus en cette matière
Que vingt marquises de renom.
Elle fut un matin chez une bouquetière,
Sur les ordres d’un courtisan.
D’après l’avis du petit-maitre,
Pratiquer son bel art, encor mieux le connaître,
N’était que l’affaire d’un an.
Quand elle fut sous la tutelle
De cette maîtresse nouvelle,
Vieille mégère aux yeux méchants,
Et loin de ses vallons, séjour de poésie.
Où son goût et sa fantaisie
Nouaient la parure des champs,
Pleurant, humiliée, et lasse de l’outrage
Du démon qu’elle avait sans cesse à ses côtés,
Fuyant ses ordres détestés,
Elle revint à son village,
Emportant sur ses doigts sanglants
Les preuves de sa maladresse.
Mais en imitant les talents
De cette méchante maitresse,
Elle avait oublié le sien.
Le mieux est l’ennemi du bien.
“La Bouquetière”