Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – La Jeune veuve
Commentaires et analyses, La Jeune veuve, de MNS Guillon – 1803
- La Jeune veuve.
Quelle différence de cette fable à la précédente ! Il est vrai encore que celle-ci n’est point un apologue ; ce n’est aussi qu’une épi gramme que J. B. Rousseau eut réduite à sept ou huit vers ; mais quel qu’en soit le genre , apologue on non, c’est un petit chef d’œuvre de narration, où la grâce se mêle à l’enjouement; l’esprit à la naïveté. La versification en est pure, l’élocution juste, animée , pleine de goût ; les détails, riches, variés, charmants ; la plaisanterie fine, exquise. Non, encore une fois, ce ne sera pas une fable ; mais c’est, comme l’a dit La Fontaine, la vérité, et la vérité parée de la ceinture de Vénus.
(1) Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole, etc. Idée noble, revêtue d’une expression riante. S. Evremond nous apprend que la fameuse duchesse de Mazarin, la belle Hortense, citait souvent ce vers. ( (Oeuv. div. T. V. p. 343.) ,
(3) Pareil entretien. Semblable seroit aujourd’hui plus exact ; mais ces deux mots étaient synonymes du temps de Malherbe, de Corneille et de La Fontaine.
(3) On dit qu’on est inconsolable :
On le dit, etc. Cette répétition est pleine de finesse et de naturel.
(4) Attends-moi ,je te suis, etc. Ces vers respirent cette molle langueur qui caractérise une affliction récente : on ne les lit point | sans en être pénétré soi-même.
(5) Est prête à s’envoler. Les anciens représentaient l’âme sous la forme d’un papillon, dont les ailes déployées la lancent dans les airs. Ainsi l’allégorie est juste ; l’application en est heureuse. Le mot envoler marquant la rapidité avec laquelle l’épouse désire rejoindre son époux.
(6) Le mari fait seul le voyage. Image familière, parce qu’on conte n’exige pas la gravité d’une oraison funèbre.
(7) Le torrent couler. Ces grandes douleurs qui ont l’impétuosité bruyante d’un torrent, passent aussi bien vite comme lui. La comparaison des pleurs coulant en abondance et par torrent, est antique : on la rencontré dans les saintes écritures, ce trésor inépuisable de toutes sortes de richesses, où l’on trouve à-la-fois, dit un écrivain éloquent , tous les Grecs et tous les Romains : David Simonides noster , Pindarus , Alcœus, Flaccus quoqué.
(8) Ma fille, lui dit-il, c est trop verser de larmes, etc. Ces vers semblent plutôt nés qu’ils ne sont faits. Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ? Qu’a besoin : ce motif est pressant ; personne ne nous sait gré d’une tendresse qui ne sert à personne. Le défunt ne dit point votre époux : d’abord pour ne point porter le doigt sur la plaie ; ensuite pour éloigner de ses souvenirs un nom qui fait couler ses pleurs. Défunt s’applique à tout le monde. Que vous noyiez : dans ce torrent de larmes qui coulent de ses yeux. Rien de forcé dans la métaphore : ce torrent menace d’une espèce de naufrage ses charmes le bien le plus précieux pour une femme , pour une veuve ; rien qui ne soit très-adroit dans l’exagération que présente la métaphore.
La perte d’un époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
C’est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité.
L’Époux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler.
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler,
Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt,
Un Cloître est l’époux qu’il me faut.
(9) Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts. L’anthèse la plus juste est celle qui est non pas en image, mais en raisonnement. Celle-ci est du meilleur choix.
(10) Et tout autre chose que le défunt. Quel vaste champ pour l’imagination et la curiosité! Est-il veuve au monde qui résiste à ce motif ? Si l’on aima un premier mari, combien l’on aime davantage encore le second, puisqu’il sera tout autre chose ! Il n’y a plus rien à ajouter à cela. Aussi l’exhortation du père fini elle à cet argument.
(11) Un cloître est l’époux qu’il me faut. La répartie est vive comme le langage des grandes douleurs. Le poète s’est imité lui-même dans ce vers d’une de ses épîtres à une Abbesse : Il fut conclu par votre parentage, Qu’on vous ferait un Couvent épouser.
( Œuv. div. T. I. p. 40.) (12) Toute la bande des Amours revient au colombier. Ce vers est éclairci par ceux du poète Rousseau :
En ce lieu donc Amours de tout plumage …. De toutes parts viennent se rallier, Tels que Pigeons volants au colombier,
( Allég. Livr. I. La Volière. )
Le commentaire est élégant ; la première idée réunit la précision à l’enjouement.
On se plonge soir et matin
(13) On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence. Fontaine poétique, dont les eaux avoient la vertu de rajeunir. Ainsi la veuve se rajeunissait , soit par les essences dont elle se baigne, soit par les vêtement plus gais qu’elle échange contre les crêpes et les habits de deuil.
Bonaventure Desperriers , dans Cymbalum mundi ( Dialog. III. p. 121 ) : « Me desrober, et m’en aller en la vallée de Joyssance, où est la fontaine de Jouvance, en laquelle je me joue, je me rafreschi et récrée, et y fais mon heureux séjour ». Un ancien fabliau la place au pays de Cocagne. La source de cette fiction, qui a parcouru l’univers, vient sans doute des traditions orientales , qui mettent dans le Paradis Terrestre une fontaine comme un arbre de vie (V. d’Herbelot, p. 738). De cette fontaine est venue pour nos romanciers la fontaine de Jovent ou Jouvence.