Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – La Mort et le Bûcheron
Commentaires et analyses sur La Mort et le Bûcheron de MNS Guillon – 1803
Analyses de MNS Guillon – 1803
(1) Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix, etc. Quel tableau ! pas un mot qui ne soit une image ; pas un trait qui n’ajoute à la beauté de l’ ensemble. Quelle force dans les couleurs ! et surtout quelle savante progression dans la peinture de ces charges diverses sous lesquelles gémit le pauvre vieillard : c’est le bois, c’est l’âge , c’est la misère, c’est tout à la fois. On est ému, attendri, à l’aspect de tant d’infortune ! Hantée, vieux mot. Clém. Marot: L’autre à sa dame estandoit la ramée. ( Temple de Cupido ). Sous le faix du fagot. C’est bien assez, c’est déjà trop de ce seul fagot pour l’écraser, tant les ans et ses longs malheurs l’ont rendu faible ! Gémissant et courbé, marchait à pas pesants. La marche de ce vers est lente et pénible comme celle du Bûcheron. Enfin , n’en pouvant plus d’efforts et de douleur. Ce dernier trait achève le tableau et le rend admirable. C’est la nature qui succombe ; elle a épuisé jusqu’à ses derniers efforts. Que David ait à représenter cette scène, il ne lui reste plus rien à imaginer : seulement qu’il copie La Fontaine, et l’art comptera un chef-d’œuvre de plus. Pour faire son Jupiter, Phidias n’eut qu’à imiter Homère. (2) Quel plaisir a-t-il eu, etc. Combien ce monologue est touchant! L’homme qui souffre serait moins malheureux, sans doute, s’il pouvait se dérober au sentiment de son malheur. Mais non, ce n’est pas encore assez que le présent l’accable; il faut que sa mémoire elle-même s’arme contre lui. Si du moins ses souvenirs lui offraient quelque aspect moins lugubre! Non : pas un plaisir dont l’image riante mêle une distraction légère au spectacle de ses maux, dont la longue énumérations embrasse tous les moments de sa vie. (3) Point de pain quelquefois , et jamais de repos. Ce vers est parfait. Que d’idées exprimées dans aussi peu de mots ! Sans cesse mourir de faim ou mourir de fatigue ! A-t-il eu tort de croire qu’il n’en est pas , pas un, plus pauvre ici bas ? (4) Le trépas vient tout guérir, etc. Cette fable, un des chefs-d’œuvre de l’apologue français, est terminée par une réflexion fine et profonde, dont la vérité, fondée sur l’expérience , peut être contestée par quelques individus, trop peu nombreux pour faire exception à la règle générale, mais dont tout homme qui voudra être sincère avec lui-même, sentira la justesse.. Invoquer la mort, dit Sénèque, c’est mentir. ( Voy. Trad. des Lettres de Sénèque, par feu M. Lagrange , T. II. p. 322). Pourquoi ? parce que c’est la nature elle-même, et non l’opinion, qui repousse l’idée de la mort. Mortem horret natura ; non opinio. Comparons le même sujet traité par un homme également fameux , qui le composa dans sa plus grande force, comme nous l’apprend le fils de son illustre ami. (Mémoires sur la vie de J. Racine? P.123 ). Fable de Boileau. Le dos chargé de bois et le corps tout en eau, Un pauvre Bûcheron, dans l’extrême vieillesse, Marchait en haletant de peine et de détresse. Enfin , las de souffrir, jetant là son fardeau , Plutôt que de s’en voir accablé de nouveau, Il souhaite la mort, et cent fois il l’appelle. La Mort vient à la fin. Que veux-tu? cria-t-elle. Qui ? moi ! dit-il, alors prompt à se corriger Que tu m’aides à me charger. Le dos chargé de bois et le corps tout en eau, Un pauvre Bûcheron. Dans La Fontaine, c’est le corps tout entier qui est couvert du bois qui le courbe et l’écrase. Le corps tout en eau , expression triviale. Dans l’extrême vieillesse : hémistiche (faible et languissant. On le croirait placé là pour la rime. Marchait. S’il marchait, il avait donc encore des forces. La fontaine prévient l’objection en ajoutant à pas pesants. En haletant de peine et de détresse. On ne dit point haleter de peine et de détresse : on dirait haleter de fatigue ; ces mots ne sont point synonymes ; les premiers désignent des afflictions morales, intérieures, qui ne font point haleter. Enfin , las de souffrir, jetant là son fardeau. La répétition du mot là, quoiqu’elle ne se fasse sentir qu’à l’oreille , est le moindre défaut de ce vers. Nous ne poursuivrons pas plus loin la comparaison ; ce qui suit est encore plus médiocre. Molière n’avait donc fait que pressentir le jugement de la postérité, quand il disait à ses célèbres amis : Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n’effaceront pas le bon- homme. (Vie de La Fontaine, en tête de l’édit. de Montenaut). (*) Dans cette imitation, le Laboureur invoque un tombeau; la terre Ouvre son sein pour l’y recevoir ; il recule d’horreur , et retourne bien vite à sa charrue. — Qu’est-ce que le sein de la terre peut avoir d’effrayant pour un Laboureur? (La Mort et le Bucheron).