Pierre Garnot
Poète et fabuliste XIXº – – La Rose et l’Immortelle
… Une rose vermeille,
D’un monde séducteur méconnaissant le cours,
Et se croyant la huitième merveille,
Tenait à peu près ce discours :
« Oui, j’ai reçu du ciel cette douce influence
« Qui quelquefois préside à la naissance.
« Pour moi, prodigue de faveurs,
« La nature a tout fait : éclat, vives couleurs,
« Bel incarnat, fraîcheur incomparable,
« Et jusqu’à ce parfum d’une odeur délectable,
« Semblable à l’aliment des Dieux
« Que la Mère des grâces,
« En descendant des cieux,
« Répandait sur ses traces.
« Du côté des grandeurs,
« (Ce n’est point un délire)
« La déesse des fleurs
« Ne m’a-t-elle pas fait maîtresse d’un empire?
« Que me manque-t-il donc? un amant?… le zéphir?
« Dedans mon sein de pourpre entr’ouvert au plaisir
« Ne me souffle-t-il pas son amoureuse haleine?
« Violettes, jasmins, superbes lis, œillets,
« Renoncules, lilas, vous êtes mes sujets;
« Courbez vos têtes, fleurs, saluez votre Reine. »
L’Immortelle entendit ce discours insensé,
Qui ne pouvait sortir que d’un cerveau blessé :
« Pourquoi faire, dit-elle, un si grand étalage
« De tous ces agréments séduisants et légers?
« Ce sont des éclairs passagers
« Qu’on voit étinceler à travers un orage;
« Quoique vous en disiez, les grandeurs, la beauté,
« Ne valent pas le don de l’immortalité.
« Un jour vous voit régner, ou pour mieux dire,
« Le matin vous voit naître, et le soir Rose expire.
« Combien de vos ayeux n’ai-je pas vu périr!
« Le nombre en est incalculable.
« Pourquoi donc tant s’enorgueillir
« D’un destin pitoyable?
« Je ne saurais envier votre sort,
« Il est de trop courte durée;
« J’aime à voir entasser année sur année. ”
Avait-elle grand tort?
Rose ne sut que dire.
Le soir vient, Rose s’épanouit.
Ouvre son sein, baisse la tête, expire.
Adieu fraîcheur, éclat, adieu grandeur, empire,
Tout à l’instant s’évanouit.
Mortels, n’oubliez pas le fonds de cette fable,
Et préférez toujours l’utile à l’agréable.
Pierre Garnot, La Rose et l’Immortelle