Jean de La Fontaine
Poète, moraliste, romancier et fabuliste XVIIº
La vie de Jean de La Fontaine
Les Fables de La Fontaine parurent successivement en trois recueils. Les six premiers livres furent publiés en 1668; les cinq livres suivants, jusqu’au onzième inclusivement, en 1678 douzième et dernier livre…
… qu’on a appelé le chant du cygne, et où tout n’est pas d’égale force, fut composé presque en entier à l’intention du jeune duc de Bourgogne, et ne fut recueilli qu’en 1694. Les connaisseurs estiment que dans le second recueil, celui de 1678, La Fontaine atteignit à la plénitude, à toute la variété de son génie, sous la forme à la fois la plus animée, la plus légère et la plus sévère.
Chronologie
1617– Mariage des parents de l’auteur : Charles de La Fontaine et de Françoise Pidoux champenoise d’origine
– Concini est assassiné à la fin de la régence de Marie de Médicis.
1621 – Naissance de Jean De La Fontaine au confins de la Champagne à Château-Thierry le 7 ou le 8 juillet.. Le 8 juillet, son baptême fut célébré à Château-Thierry, (paroisse Saint-Crépin).
Château-Thierry , alors dominée par le château des Bouillon. Aujourd’hui encore on trouve dans l’ancienne rue des Cordeliers, le petit hôtel qui fut la maison natale du poète, et le jardinet où il a joué enfant.
Le jeune La Fontaine mène dans ce gros village une vie d’un bourgeois aisé , son père Charles est Maître des eaux et forêts.
Son père porte le titre de “Conseiller du Roi et maître des Eaux et des Forêts de la Duché de Chaûry à Château-Thierry ainsi que capitaine des chasses.
– Œuvres de Théophile de Viau.
– La mort du Duc de Luynes – soulèvement et guerre contre les protestants du Béarn –
1624 – Richelieu est nommé chef du Conseil du Roi.
1627 – Publication des deux derniers volumes de l’Astrée.
1621 – 1642 — Le cardinal de Richelieu, ministre de Louis XIII, instaure la monarchie absolue
1629 – Il publie les Fables d’ Ésope aux éditions trilingue aux enfants des écoles par Jean Meslier.
1631 – Il publie les Fables d’ Ésope Phrygien traduites et moralisées par Jean Baudoin.
1635 – création de l’ Académie française.
1635 – 1636 – Après avoir accompli ses années de collège à Château-Thierry, là il rencontre François de Maucroix et part certainement poursuivre ses études à Paris.
1638 – naissance du futur Louis XIV
1639 – A dix-neuf ans, son caractère ne s’était pas plus déclaré que son génie. On ne s’explique pas comment l’homme le plus ennemi de la moindre gêne entra dans la congrégation de l’Oratoire : il est plus aisé de concevoir pourquoi La Fontaine en sortit.
Tout le monde sait qu’une ode qu’on ne lit plus guère ouvrit cette source de vers enchanteurs qu’on lira toujours.
1641 – 27 avril, Jean de La Fontaine est admis à l’ Oratoire à Paris Saint-Honoré.
Après la lecture, bien dirigée par Pintrel, des grands écrivains de l’antiquité, La Fontaine lut, avec autant de plaisir que de profit, l’Arioste, Boccace, Rabelais, d’Urfé, Marot, et Montaigne. En empruntant à chacun d’eux, il les a tous embellis. « Imitateur parfait, modèle inimitable. »
1642 – Mort de Richelieu.
1642 – au mois d’ octobre La Fontaine renonce à sa vocation religieuse quitte l’ Oratoire et revient à Château-Thierry.
1643 – environ – La Fontaine entend réciter des poèmes de Malherbe et s’éprend de sa poésie.
1643 – Mort de Louis XIII. Régence d’Anne d’Autriche. Installation au pouvoir de Mazarin. Louis XIV est alors âgé de cinq ans.
1645-1647 – La Fontaine entreprend ses études de droit à Paris, en compagnie de ses amis Maucroix, Pellisson, Furetière, Tallemant Des Réaux, Cassandre, Charpentier ensuite il fait la petite littérature de la Table Ronde, où il rencontre le poète Chapelain et Conrart. Après ses études de droit il s’inscrit en tant qu’ avocat en la cour du parlement de Paris.
1647 – La Fontaine âgé de vingt-six ans, pour certainement des raisons financières, son père le presse d’épouser une fille de bonne famille alors âgée de quatorze ans et demi, Marie Héricart et Jean de la Fontaine s’installent à Château-Thierry. Ils auront un fils, Charles.
1646 – Il publie des Fables d’ Ésope traduites par Pierre Millot
1650 – 1653 – Fronde des princes contre le pouvoir absolu.
1652 – La Fontaine achète, à la suite de son père, la charge de maître des Eaux et Forêts de Château-Thierry.
Il se laissa marier à la fille d’un lieutenant au bailliage de la Ferté-Milon, patrie de Racine. La Fontaine vécut assez mal avec sa femme. Molière aussi fut malheureux avec la sienne; mais, plus passionné que La Fontaine, il ne cessa d’être amoureux et jaloux. La Fontaine prit le parti que lui conseillait l’amour du repos et de l’indépendance. Quant à l’aigreur qu’on reproche à sa femme, peinte par lui (du moins on l’a cru) dans la dame Honesta de Belphégor, avouons que cette mauvaise humeur était fondée. Son mari, constamment éloigné d’elle, ne venait au Château-Thierry que pour toucher ses revenus, qui diminuaient; tous les ans, par l’aliénation d’une partie de son patrimoine : quelle femme eût supporté sans impatience ce désordre et cet abandon ?
1654 – La traduction de l’Eunuchus de Térence portant la date de 1654, il est clair qu’elle fut une des premières productions de La Fontaine. Un biographe, en rappelant qu’on ne la lut point, ajoute assez légèrement qu’elle méritait cette indifférence. Je ne choisis point ma citation. La pièce commence ainsi :
PARMENON
Eh bien ! on vous a dit qu’elle était empêchée ; Est-ce là le sujet dont votre âme est touchée ? Peu de chose en amour alarme nos esprits ; Mais il n’est pas besoin d’excuser ce mépris : Vous n’écoutez que trop un discours qui vous flatte.
1658 – Mort de Charles, père de Jean et laisse derrière lui, à ses deux fils, une succession difficile.
1658 – 1661 – La Fontaine travaille sur une comédie Clymène qui sera publiée en 1671- il a trente-neuf ans – cette année là, il rencontre un futur génie de son siècle , Racine, qui deviendra un de ses plus fidèles amis .
1661 – Mort de Mazarin. Début du règne sans partage de Louis XIV.
Madame Henriette d’Angleterre épousa Monsieur, frère du roi, le 31 mars de cette année.
Le 5 septembre de la même année, le bienfaiteur de La Fontaine, Fouquet, fut arrêté par ordre de Louis XIV, conduit au château d’Angers, et transféré bientôt après à la Bastille. Colbert, qu’aurait dû fléchir la chute d’un homme auquel il succédait, Colbert, dont le même événement satisfaisait l’ambition et la haine, persécuta les défenseurs de Fouquet. La Fontaine, qui ne l’ignorait pas, eut le courage de publier cette touchante élégie, dont il semble, dit ingénieusement M. Auger, « qu’on n’ose pas vanter les beautés poétiques, dans la crainte d’offenser La Fontaine, en paraissant plus sensible aux charmes d’un vain langage qu’aux sentiments dont il est l’interprète. »
1662 – La Fontaine est condamné à une forte amende pour usurpation de titre de noblesse.
1663 – La Fontaine suivit à Limoges Jannart, exilé. Il eût suivi Fouquet à la Bastille. Au retour de Limoges, il fut gratifié d’une charge de gentilhomme chez Mme Henriette. La mort précipitée de cette princesse fit évanouir les espérances que lui permettait une position favorable. De ce moment il appartint tout entier à l’amitié bienfaisante.
1664 – La Fontaine publie à titre d’essai un conte imité de Boccace – Joconde.
Le conte de Joconde parut au mois de janvier de cette année.
Bouillon , secrétaire du cabinet de Gaston , rima ce conte de l’Arioste en même-temps que La Fontaine. Il eut des partisans; entre autres un chevalier de Saint-Gilles, qui gagea pour lui, contre le Vayer de Boutigni, qui soutenait La Fontaine. Boileau fut pris pour juge et flétrit l’œuvre du sieur Bouillon d’un mépris sans appel.
Mme de la Sablière recueillit La Fontaine dans sa maison. Elle y donnait un logement à Bernier, qui fit pour elle un Abrégé de Gassendi. Bernier devint l’ami de La Fontaine et son maître de philosophie.
La Fontaine s’est permis des satires assez vives contre les femmes, et trois femmes ont été ses bienfaitrices; tandis que Racine, surnommé le poète des femmes, a vu trois femmes à la tête de ses ennemis : la duchesse de Bouillon, Mme Deshoulières, et Mme de Sévigné.
1668 – Parution du premier recueil de Fables au printemps sous le titre de “Fables choisies mises en vers par M. De La Fontaine. Le recueil est achevé d’imprimer le 31 mars. Ce fût un succès immédiat qui dépassa ses espérances, une deuxième édition parue pour faire face à la demande.
1674 – Ce fut au milieu de cette année que Despréaux publia son Art Poétique. La Fontaine était déjà très connu par les six premiers livres de ses Fables, imprimés en 1669; et pourtant Despréaux ne parla ni de la fable ni du fabuliste. On lit dans une notice, d’ailleurs très bien écrite, que « Despréaux appréciation peut-être pas La Fontaine. » Peut-on le supposer ? Je me persuade qu’il fut retenu par un autre motif. En dictant des préceptes pour l’apologue, il était difficile d’oublier le conte; il était encore plus difficile au sévère Despréaux de ne pas interdire au conteur les détails licencieux: c’était désigner et condamner La Fontaine.
La Fontaine fit un opéra pour Lulli. Ce musicien en fut mécontent ; et c’est la preuve qu’il s’y connaissait. Sans mériter tout-à-fait le dédain de Voltaire , cet opéra n’est ni bien conçu, ni bien écrit. Les amis du poète, offensés pour lui d’un refus dont la forme était insolente, arrachèrent à sa muse une satire sans colère contre le Florentin. Despréaux dut bien rire de voir son arme dans une main qui la maniait aussi mal.
1684 – Cette année fut l’époque de sa réception à l’Académie française. Colbert, mort en 1683, laissait une place vacante. La Fontaine obtint avant Despréaux les suffrages de l’Académie; mais Despréaux obtint avant lui l’aveu de Louis XIV. L’année d’après, Furetière fut exclu de cette compagnie. « L’opinion commune est, dit M. Anger, qu’au scrutin qui devait déci-der de son sort, La Fontaine, dont l’intention était de mettre une boule blanche, mit une boule noire par distraction. » Furetière ne le lui pardonna point, et fit éclater son ressentiment par des injures dont nous ne salirons pas cette courte notice. Ce fut probablement à la fin de l’année 1685 que La Fontaine perdit Mme de la Sablière. Si le poète lui dut un noble asile, nous devons peut-être à son amie la moitié de ses ouvrages. En le débarrassant de lui-même, elle lui permit de s’abandonner à cette paresse tranquille dont le charme se répand sur ses vers. On sent qu’une situation mal-aisée l’eût occupé de soins bien différents. Les importunités du besoin auraient tari sa veine.
1693 – le 6 janvier, mort de Madame de La Sablière. Le 12 février il reçut le viatique devant une délégation de l’ Académie venue assister à la cérémonie. Il lui exprima solennellement ses regrets, d’ avoir offensé la morale et la promesse de ne plus recommencer.
1695 – Après deux ans de souffrances et de langueur, La Fontaine mourut à Paris. Il fut inhumé dans le cimetière de Saint-Joseph, à l’endroit même où, vingt-deux ans auparavant, on avait déposé les restes de Molière. Le 13 avril, alors âgé de soixante-quatorze ans, Jean De La Fontaine mourut à l’hôtel d’Hervard, rue Plâtrière. A sa mort on découvrit qu’il portait un cilice.
La Fontaine avait reçu de la nature un caractère simple et naïf, un cœur droit et bienfaisant, une âme sensible et passionnée. Son air était affable, sa physionomie froide, inexpressive; sa contenance embarrassée. L’habitude d’observer le rendait distrait et rêveur.
La vie de Jean de La Fontaine vue par Chamfort
« La Fontaine, dit Chamfort en terminant son éloge, offrit le singulier contraste d’un conteur trop libre et d’un excellent moraliste ; doué de l’esprit le plus fin, il devint en tout le modèle de la simplicité ; il déroba, sous l’air d’une négligence quelquefois réelle, les artifices de la composition la plus savante, fit ressembler l’art au naturel, souvent même à l’instinct cacha son génie par son génie même, tourna l’opposition de son esprit et de son âme au profit de son talent, et fut, dans le siècle des grands écrivains, sinon le premier, du moins le plus étonnant. Malgré ses défauts, il sera toujours le plus relu de tous les auteurs , et conservera le surnom d’inimitable, devenu , pour ainsi dire, inséparable de son nom. »
On n’a pas résisté à vous faire apprécier ce texte élogieux et très enthousiaste sur La Fontaine et ses œuvres , par De Rouillon, en 1821.
Jean de La Fontaine
Dans tous les genres de poésie, la supériorité plus ou moins disputée a partagé l’admiration. S’agit-il de l’épopée; Homère, Virgile, le Tasse; Milton, se présentent à la pensée. Dans la tragédies , l’ode, la satire; Athènes, Rome, Paris, Londres, nous offrent des talents rivaux. Après Molière on peut encore citer Regnard. Il n’existe qu’un genre de poésie dans lequel un seul homme ait si particulièrement excellé, que ce genre lui est reste en propre, et ne rappelle pas d’autre nom que le sien. Nommer la Fable, c’est nommer La Fontaine; le genre et l’auteur ne font plus qu’un. La plupart des fables de La Fontaine sont des scènes parfaites pour les caractères et le dialogue. Dans cette fable sublime des animaux malades de la peste, quoi de plus parfait que la confession de l’âne! comme toutes les circonstances sont faites pour atténuer sa faute ! … L’intérêt qu’il prend à ses personnages, et qui nous divertit, devient quelquefois attendrissant; comme dans cette belle fable où le serpent accusé d’ingratitude invoque le témoignage de la vache ; les plaintes de celle-ci peuvent-elles être plus touchantes? elle rappelle tous ses services; et avec quel langage? Peut-on- n’en être pas ému? le cœur ne vous parle-t-il pas en faveur de ranimai qui se plaint? Le fabuliste fait de ses animaux ce qu’un dramatiste habile fait de ses acteurs. II observe les mêmes convenances dans le ton et dans les mœurs; et l’intérêt et l’illusion ne sauraient aller plus loin.
A tant de qualités qui dérivent d’un genre d’esprit qui lui était particulier, de sa manière de concevoir et rie sentir, de son imagination facile et flexible, se joint le charme inexprimable de son style; don précieux qui couronne tous les autres: don précieux de la nature qui l’avait créé grand poète.
Patru, dit-on, voulait détourner La Fontaine de faire des fables. Il ne croyait pas qu’on pût égaler dans notre langue, l’élégante brièveté de Phèdre. Je conviendrai que notre langue est essentiellement plus lente dans sa marche que celle des Romains. Aussi La Fontaine ne se propose-t-il pas d’être aussi court dans ces récits que le fabuliste latin. Mais sans parler de tant d’avantages qu’il a sur lui, il me semble que si La Fontaine dans ses fables n’est pas remarquable par la brièveté, il l’est par la précision. J’appelle un style précis, celui dont on ne peut rien ôter, sans que l’ouvrage perde une grâce ou un ornement, et sans que le lecteur perde un plaisir. Tel est le style de La Fontaine dans l’apologue. On n’y sent jamais ce qu’on appelle langueur. On n’y trouve jamais de vide.
La correction qui suppose une composition soignée, est d’autant plus admirable dans ses fables, qu’elle est accompagnée de ce naturel si rare et si enchanteur qui semble exclure toute idée de travail. Le plus original de nos écrivains en est aussi le plus naturel. Je ne crois pas qu’en parcourant les ouvrages de La Fontaine on y trouvât une ligne qui sentit la recherche ou l’affectation. Il ne compose point, il converse; s’il raconte, il est persuadé; s’il peint, il a vu. C’est toujours son âme qui vous parle, qui s’épanche, qui se trahit; il a toujours l’air de vous dire son secret et d’avoir besoin de le dire; ses idées, ses réflexions, ses sentiments, tout lui échappe; tout naît du moment, rien n’est cherché, rien n’est préparé ; il se plie à tous les tons, et il n’en, est aucun qui ne semble être particulièrement le sien; tout, jusqu’au sublime, parait lui être facile et familier. Il charme toujours et n’étonne jamais.
Ce naturel domine tellement chez lui, qu’il dérobe au commun des lecteurs les autres beautés de son style; il n’y a que les connaisseurs qui sachent à quel point La Fontaine est poète, ce qu’il a vu de ressource dans la poésie, ce qu’il en a tiré de richesses. On ne fait pas assez d’attention à cette foule d’expressions créées, de métaphores hardies toujours si naturellement placées, que rien ne parait plus simple.
Aucun de nos poètes n’a manié si impérieusement la langue, aucun surtout n’a plié avec tant de facilité le vers Français à toutes les formes imaginables. Cette monotonie qu’on reproche à notre versification, chez lui disparaît absolument: ce n’est qu’au plaisir de l’oreille, au charme d’une harmonie toujours d’accord avec le sentiment et la pensée, qu’on s’aperçoit qu’il écrit en vers. II disposé si heureusement ses rimes, que le retour des sons semble toujours une grâce, et jamais une nécessité. Nul n’a mis dans le rythme une variété si prodigieuse et si pittoresque; nul n’a tiré autant d’effets de la mesure et du mouvement. Il coupe, brise ou suspend son vers comme il lui plaît. L’enjambement qui semblait réservé aux vers Grecs et Latins, est un mérite si commun dans les siens, qu’il est à peine remarqué. Il est vrai que tant d’avantages, qui dépendent en partie de la liberté d’écrire en vers d’inégale mesure, et des privilèges d’un genre qui admet toute sorte de tons, ne pourraient plus se retrouver, au même degré, dans le style noble et dans le vers héroïque. Mais tant d’autres ont écrit dans le même genre! Pourquoi ont-Us si rarement approché de cette perfection? L’harmonie imitative des anciens, si difficile à égaler dans notre poésie, La Fontaine la possède dans le plus haut degré, et l’on ne peut s’empêcher de croire en le lisant que toute sa science en ce genre est plus d’instinct que de réflexion. Chez cet homme si ami du vrai et si ennemi du faux, tous les sentiments, toutes les idées, tous les caractères ont l’accent qui leur convient, et l’on sent qu’il n’était pas en lui de pouvoir s’y tromper. Je sais bien que de lourds calculateurs aimeraient mieux y voir des sons combinés avec on prodigieux travail. Mais le grand poète, l’enfant de la nature, La Fontaine aura plutôt fait cent vers harmonieux, que des critiques pédans n’auront calculé l’harmonie d’un vers.
Faut-il s’étonner qu’un écrivain, pour qui la poésie est si docile et si flexible, soit un si grand peintre en vers? C’est de lui surtout que l’on peut dire proprement qu’il peint avec la parole. Dans lequel de nos auteurs trouvera-t-on un si grand nombre de tableaux dont l’agrément soit égal à la perfection ?
Avec quelle étonnante facilité cet écrivain si simple s’élève quelquefois au ton de la plus sublime philosophie et de la morale la plus noble! Quelle distance du corbeau qui laisse tomber son fromage, à l’éloquence du paysan du Danube, et à celle de l’introduction à la fable des deux rats, du renard et de l’œuf, si pourtant on ne doit pas donner un titre plus relevé à un ouvrage beaucoup plus étendu que ne doit l’être un simple apologue, à un véritable poème sur la doctrine de Descartes, plein d’idées et de raison, mais dans lequel la raison parle toujours le langage de l’imagination et du sentiment! ce langage en effet est partout celui de La Fontaine: il a beau devenir philosophe; vous retrouverez toujours le grand poète et le bon homme.
Vous retrouverez surtout cette sensibilité, l’âme de tous les talents : non celle qui est vive, impétueuse, énergique, passionnée, et qui doit animer la tragédie ou l’épopée, et tous les grands ouvrages d’imagination : mais cette sensibilité douce et naïve qui convenait si bien au genre d’écrire que La Fontaine avait choisi; qui se fait apercevoir à tous moments dans ses ouvrages, sans qu’il paraisse y penser, et joint à tous les agréments qui s’y rassemblent, un nouveau charme, plus attachant encore que tous les autres. Quelle foule de senti-
mens aimables répandus dans ses écrits; comme on y trouve l’épanchement d’une âme pure, et l’effusion d’un bon cœur: avec quel intérêt il parle des attraits de la solitude, et des douceurs de l’amitié! Qui ne voudrait être l’ami de l’homme qui a fait la fable des deux amis? Se lassera-t-on jamais de relire celle des deux pigeons, ce morceau dont l’impression est si délicieuse, auquel peut-être on donnerait la palme sur tous les ouvrages de La Fontaine, si parmi tant de chefs-d’œuvre on avait la confiance de choisir? Qu’elle est belle, cette fable ! qu’elle est touchante ! que ces deux pigeons sont un couple charmant! quelle tendresse éloquente dans leurs adieux! quel intérêt dans les aventures du pigeon voyageur! quel plaisir dans leur réunion ! et lorsqu’ensuite le fabuliste finit par un retour sur lui-même, qu’il regrette les plaisirs qu’il a goûtés, quelle tendre mélancolie ! on croit entendre les soupirs de Tibulle.
Quel écrivain a réuni plus de titres pour plaire et pour intéresser? mais aussi quel écrivain est plus souvent relu, plus souvent cité; quel autre est mieux gravé dans la mémoire de tous les hommes instruits, et même de ceux qui ne le sont pas? Le poète des enfants et du peuple est en même temps le poète des philosophes. Cet avantage qui n’appartient qu’ à lui seul, peut être: dû en partie au genre de ses ouvrages : mais il l’est surtout à son génie. Nul auteur n’a dans ses écrits plus de bon sens joint à plus de bonté. Nul n’a fait un si grand nombre de vers devenus, proverbes. Dans ces moments qui ne reviennent que trop, où l’on cherche à se distraire de soi-même, et à se défaire du temps, quelle lecture choisit-on plus volontiers? sur quel livre la main se porte-t-elle plus souvent? sur La Fontaine: vous vous sentez attiré vers lui par le besoin d’un sentiment doux. Il vous calme et vous réconcilie avec vous-même: on a beau le savoir par cœur, on le relit toujours, comme on est porté à revoir-les gens qu’on aime, sans avoir rien à leur dire.
Nous allons faire l’examen de quelques-unes de ses fables, avec des détails que nous abrégerons dans les autres genres, à mesure que nous irons en avant.
Il y a deux manières de juger les ouvrages de l’art, l’une qui ne demande que du goût, l’autre qui suppose le génie : la première est de comparer ensemble deux ouvrages de différents auteurs sur le même sujet, et d’observer leurs avantages ou leurs désavantages réciproques. Nous l’avons fait en comparant Phèdre avec La Fontaine; la seconde est de comparer un ouvrage avec la nature elle-même, ou, ce qui est la même chose, avec les idées que nous avons de ce qu’on peut, et qu’on doit dire dans le sujet choisi.
La Fontaine est assez connu par le gracieux et la naïveté : c’est pour cela que nous l’avons présenté d’abord par le côté noble et sublime. L’ascendant qu’il a sur tous les esprits prouve qu’il sait donner autre chose que des fleurs. Il fait les délices de tous les âges et de toutes les personnes : privilège unique. Les esprits élevés sont touchés de Corneille ; les délicats se plaisent surtout dans Racine; Molière charme ceux qui connaissent les hommes; Les bergeries amusent à quinze ans; le lyrique plaît dans le temps des passions: La Fontaine est l’homme de tous les temps de la vie et de tous les états. Il est le jouet de l’enfance, le Mentor de la jeunesse, l’ami de l’homme fait. Dans les mains d’un philosophe, c’est un recueil précieux de morale; dans celles de l’homme de lettres, c’est un modèle partait du bon goût; dans les mains de l’homme du monde, c’est le tableau de la société. Il saisit apparemment le point où tous les goûts se réunissent; je veux dire, cette portion lumineuse du vrai, qui est comme la base du bon sens, et l’élément de la raison; et comme il la présente sans nuage et sans fard, il n’est pas étonnant qu’elle jouisse de tous ses droits dans ses ouvrages.
Quoique l’épithète d’inimitable justement donnée au bon La Fontaine, semble éloigner toute concurrence dans la même carrière, nombre de rivaux ont voulu marcher sur ses traces. Les plus heureux ont été La Motte et Florian.