Pañchatantra ou fables de Bidpai
5e. Livre – VII. — L’Ane et le Chacal
Il y avait dans un endroit un âne nommé Ouddhata. Le jour, il portait des fardeaux dans la maison d’un teinturier ; la nuit, il rôdait selon sa fantaisie. Or comme une fois, pendant la nuit, il rôdait dans les champs, il contracta amitié avec un chacal. Les deux amis brisaient les clôtures, entraient dans les champs de concombres, en mangeaient les fruits tant qu’ils voulaient ; et, le matin, ils retournaient à leur demeure. Mais un jour l’âne présomptueux, étant au milieu d’un champ, dit au chacal : Hé, mon neveu ! vois, la nuit est très-claire ; aussi je vais chanter. Dis-moi donc suivant quel mode je dois chanter. — Mon oncle, répondit le chacal, à quoi bon cette démonstration inutile ? Car nous faisons le métier de voleur. Les voleurs et les galants doivent se tenir cachés. Et l’on dit :
Celui qui a la toux doit fuir le vol, celui qui est paresseux doit éviter de voler des peaux, celui qui est malade doit finir la gourmandise, si ici-bas ils désirent vivre.
Et ton chant imite le son d’une conque et n’est pas agréable. Dès qu’ils l’entendront, même de loin, les gardes des champs se lèveront, te réduiront en captivité et te tueront. Mange donc seulement ces concombres, qui ont la saveur de l’ambroisie ; ne t’occupe pas ici de chant. Lorsque l’âne eut entendu cela, il dit : Hé ! comme tu habites la forêt, tu ne connais pas le goût du chant ; voilà pourquoi tu dis cela. Et l’on dit :
Quand le clair de lune d’automne dissipe au loin l’obscurité, auprès d’un objet aimé, l’ambroisie que produit le murmure du chant pénètre dans l’oreille des heureux.
Mon oncle, dit le chacal, c’est vrai ; mais tu as un cri rude. Par conséquent, à quoi bon ce cri, qui renverserait nos projets ? L’âne répondit : Fi ! fi ! ignorant ! Est-ce que je ne connais pas le chant ? Ecoute donc comment il se divise ; voici :
Il y a, dit-on, sept sons, trois octaves, vingt et un demi-tons, quarante-neuf mesures, trois quantités, trois temps, trois intervalles, six sortes de pauses, neuf sentiments, vingt-six modes, puis quarante états de l’âme.
Ce système de chant, composé, dit-on, de cent quatre-vingt-cinq éléments, fait d’or et sans défaut, comprend toutes les parties du chant.
On ne voit rien au monde de plus agréable que le chant, même pour les dieux : par le charme du son de tendons desséchés, Râvana prie Siva.
Pourquoi donc, mon neveu, m’appelles-tu ignorant et m’empêches-tu ? — Mon oncle, dit le chacal, si c’est ainsi, je resterai à la porte de la clôture et je guetterai le garde des champs ; quant à toi, chante tant que tu voudras. Après que cela fut fait, l’âne tendit son cou et se mit à crier. Puis le garde des champs, quand il entendit le cri de l’âne, grinça les dents de colère, prit un bâton et accourut. Lorsqu’il aperçut l’âne, il lui donna tant de coups de bâton, que Ouddhata, accablé de coups, tomba à terre. Ensuite le garde des champs lui attacha au cou un mortier de bois troué, et se coucha. Mais l’âne, par l’effet de la nature de son espèce, se releva à l’instant sans plus sentir de douleur. Et l’on dit :
Chez le chien, l’âne et le cheval, et principalement chez l’âne, la souffrance produite par les coups n’existe plus un moment après.
Puis il brisa la clôture et se mit à fuir avec le mortier. Cependant le chacal l’aperçut de loin et dit en riant :
Bien, mon oncle ! quoique je t’aie averti, tu n’as pas cessé de chanter : ce joyau de nouvelle espèce que l’on t’a attaché, c’est le salaire du chant, que tu as reçu.
Ainsi, toi non plus, bien que j’aie voulu t’empêcher, tu ne t’es pas arrêté.
Après avoir entendu cela, le brahmane à la roue dit : Hé, ami ! c’est vrai. Et certes on dit ceci avec raison :
Celui qui n’a pas par lui-même de sagesse, et qui ne suit pas le conseil d’un ami, va à sa perte, comme le tisserand Manthara.
Comment cela ? dit le magicien à l’or. Le brahmane à la roue raconta :
“L’Ane et le Chacal”
- Panchatantra 66