Lion XIV étant mineur,
Le cheval quelque temps exerça la régence.
C’était un prince humain et rempli d’indulgence,
Détestant les combats, bien qu’il fût plein d’honneur.
Mais, quelque doux qu’on soit, quand on vit près des hommes,
Il est bien malaisé de vivre en bon accord ;
Car nous voulons toujours, en tyrans que nous sommes,
Imposer la loi du plus fort.
Un jour que nous avions, plus qu’à notre ordinaire,
Vexé des animaux le peuple débonnaire,
Le cheval assembla son conseil et lui dit :
« Si j’ai sur vous quelque crédit,
Vous redoublerez de prudence ;
On veut nous irriter, c’est de toute évidence.
Mais, avec quelque habileté,
Un conflit peut être évité.
L’homme, je le vois bien, ne cherche qu’un prétexte ;
Gardons-nous d’en fournir le texte ;
Et sachons ménager le fourbe chicaneur,
Tant qu’il ne viendra pas attaquer notre honneur. »
Ce discours terminé, le loup prend la parole :
« Quoi ! dit-il, écumant comme un flot sur recueil,
A l’amour de la paix on veut que je m’immole !
Et que de nos tyrans je subisse l’orgueil !
Non pas ! et si votre aide échappe à mon courage,
J’irai venger tout seul notre commun outrage.
Est-ce clair ? maintenant délibérez ; j’ai dit. »
A ces mots, au Conseil tout le monde applaudit ;
Ours, tigre, léopard, tous de l’humaine engeance
Demandent à grands cris que l’on tire vengeance.
« Fort bien ! dit le cheval ; c’est comme il vous plaira :
Vous voulez qu’on se batte ? eh bien ! on se battra.
Mais comme l’on pourrait éviter cette affaire,
Et qu’à vos seuls désirs il faut que je défère,
Vous allez endosser des habits de soldats,
Et marcher, sous mes yeux, les premiers aux combats.
Il serait trop plaisant que, pour votre caprice,
De ses biens, de sa vie, on fit le sacrifice,
Tandis qu’à l’abri du danger,
Vous seriez à vous goberger. »
Ce discours, dont ici je ne rends que l’essence,
Soudain de nos héros calma l’effervescence ;
Et tous les conseillers ayant bien réfléchi,
Le Rubicon ne fut cette fois pas franchi.
Depuis lors au Conseil le loup même fut sage.
Peuples, de la leçon tâchez de faire usage.
“Le Cheval régent et ses Ministres”