Il y avoit un vieillard qui avoit beaucoup voyagé. Comme d’ailleurs il étoit plein de sens, on le considéroit à la ronde, et l’on écoutoit volontiers ses conseils. Un jour certain chevalier du voisinage vint le consulter. «Prud’homme, lui dit-il, je n’ai rien qui me fixe ici, et je veux vivre heureux. Dites-moi quel est le pays où je dois me retirer pour cela
— Dans celui où l’on voudra vous aimer, répondit le vieillard.
— Et si je ne trouvois point de gens qui voulussent m’aimer? reprit le gentilhomme.
— Dans ce cas-là, sire, je vous conseille d’aller où l’on vous craindra.
— Mais enfin, si le peuple chez qui je m’établirai n’avoit point de raisons pour me craindre?
— Eh bien! alors allez où l’on ne vous craindra pas.
— Enfin, si par hasard je ne pouvois pas encore trouver ce pays-là, lequel choisirai-je, je vous prie?
— Celui, sire, où vous ne trouverez personne, et où vous serez sûr que personne ne vous trouvera. »
“Le Chevallier et le Vieillard”