Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Je soupçonne fort une histoire,
Quand le héros en est l’auteur.
L’amour-propre et la vaine gloire
Rendent souvent l’homme vanteur.
On fait toujours si bien son compte,
Qu’on tire de l’honneur de tout ce qu’on raconte.
A ce propos, un Gascon, l’autre jour,
A table, au cabaret, avec un camarade,
De gasconnade en gasconnade
Tomba sur ses exploits d’amour.
Dieu sait si là-dessus il en avoit à dire!
Une grosse servante, à quatre pas de là,
Prêtoit l’oreille à tout cela,
Et faisoit de son mieux pour s’empêcher de rire.
A l’entendre conter, il n’étoit, dans Paris,
De Cloris
Dont il ne connût la ruelle. »
Dont il n’eût eu quelques faveurs :
Son air étoit le trébuchet des cœurs.
Il aimoit celle-là, parce qu’elle étoit belle;
Celle-ci payoit ses douceurs:
Il avoit chaquejour des garnitures d’elle.
De plus, il étoit fort heureux;
Il n’étoit pas moins vigoureux:
Telle dame en étoit amplement assurée;
A telle autre, en une soirée,
Il avoit su donner jusques à dix assauts….
Ah ! pour le coup, notre servante
Ne put pas s’empêcher de s’écrier tout haut:
» Malepeste! comme il se vante!
Par ma foi ! je voudrois avoir ce qu’il s’en faut ! »
1. Ce conte est le seul qui mérite d’être laissé à La Fontaine parmi ceux que l’édition de 1710 (Amsterdam, H. Desbordes, 2 vol. pet. in-8) lui attribue pour la première fois et qui n’ont été réclamés par personne, excepté l’Oiseau en cage (ou le Rossignol), qui serait, dit-on, de Lamblin ou de Valincour. Les autres contes, d’ailleurs assez faibles, que nous ne réimprimons pas, surtout à cause de leur grossière obscénité, sont les Detix Compères, les Noces de Guillot, le Duc d’Albe et les Opilations de Sylvie. (Le Gascon, conte de La Fontaine)