Un Loup qui commençait d’avoir petite part
Aux Brebis de son voisinage,
Crut qu’il fallait s’aider de la peau du Renard
Et faire un nouveau personnage.
Il s’habille en Berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d’un bâton,
Sans oublier la Cornemuse.
Pour pousser jusqu’au bout la ruse,
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot le vrai Guillot étendu sur l’herbette,
Dormait alors profondément.
Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette.
La plupart des Brebis dormaient pareillement.
L’hypocrite les laissa faire,
Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu’il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire,
Il ne put du Pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les Brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir ni se défendre.
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est Loup agisse en Loup :
C’est le plus certain de beaucoup.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 5. Hoqueton, Ce mot se dit et d’une sorte de casaque que portent les archers, et des archers qui la portent.
V. 10. C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.
Comme ce vers peint merveilleusement les fripons et les attentions superflues qu’ils prennent pour le succès de leurs fourberies; attentions qui bien souvent les (ont échouer !
V. 16. . . Comme aussi sa musette. Ce dernier hémistiche est d’une grâce charmante. Ce qu’il va de hardi dans l’expression, d’une musette qui dort, devient simple et naturel, préparé par le sommeil du berger et du chien.
V. 32. Mais cela gâta son affaire.
C’est ce qui arrive. On reconnaît l’imposteur a la caricature : les fripons déliés l’évitent soigneusement : et voila ce qui rend le monde si dangereux et si difficile à connaître.
V. 32. Quiconque est loup, etc. . . .il fallait finir la fable au vers précédent, toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. La Fontaine alors avait l’air de vouloir décourager les fripons, ce qui était travailler pour les honnêtes gens.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Dans Abstemius, le Loup prend la peau d’une Brebis , et ravage le troupeau. Le Berger ayant reconnu la fraude, saisit le voleur, le tue, et le pend à un arbre avec son déguisement. Un passant survient, qui s’étonne de voir une Brebis pendue ! Le Berger répond: c’étoit bien la peau d’une Brebis; mais au-dessous étoit la rapacité du Loup.
(1) Crut qu’il falloit s’aider de la peau du Renard. On dit proverbialement coudre la peau du Renard à celle du Loup, pour dire, user de ruse». ( Dict. de l’Acad. franç, au mot Lion.)
(2) II s’habille en Berger. Phèdre s’en fût tenu là : la métamorphose opérée, il alloit au dénouement. Ce n’est point assez pour, le peintre de la nature ; il décrit pièce par pièce la toilette de l’imposteur : plus il met d’étude à son déguisement, plus il attache la curiosité du spectateur. Ailleurs il décrit en ces termes le costume du Berger:
Petit chapeau, jupon, panetière, houlette,
Et je pense aussi sa musette.(Lit. X. fab. 10.)
(3) Il auroit volontiers écrit sur son chapeau, etc. Au lieu d’un Berger, en voilà deux: quel sera le véritable? De peur que l’on ne s’y méprenne, il auroit volontiers écrit sur son chapeau, pour servir de signe de ralliement, comme Henri IV montroit son panache blanc pour guide au champ de l’honneur. Que d’esprit ! que de naïveté ! que de grâces ?
(4) Sa personne étant ainsi faite. Personne, au lieu de personnage, du latiny persona, masque, costume de théâtre. Les Espagnols disent de même, hacer de persona. …lire la suite…