Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Un vieux renard, au fond de sa tanière,
Sans force, sans yeux et sans dents,
Touchait à son heure dernière,
Et prêchait ainsi ses enfants :
« Croyez-en les avis d’un père,
» Renoncez à l’iniquité;
» J’ai mal vécu, la mort m’éclaire ;
» Mais j’ai trop tard connu la vérité.
» Mon cœur est affaisse sous le poids de ses crimes ;
» Combien n’ai-je pas fait ici-bas de victimes !
» Voyez ces oiseaux expirants,
» Ces canards égorgés… ces dindons… ces faisans….
» Quelle est cette foule sanglante?
» Pourquoi cette troupe gloussante ,
» Qui me demande ses petits?
» Ah ! je ne sais plus où j’en suis. »
« Vous êtes sans doute en démence ?
» S’écria sa famille : « Où sont donc ces canards,
« Ces dindons, ces faisans ?… Une fausse apparence,
» Trop malheureusement, abuse vos regards. »
» Gloutons, dit-il ; eh ! quoi, rien ne vous touche !
» Mon discours aurait dû parler à votre cœur,
» Et l’eau vous en vient à la bouche !
» Du remords qui m’atteint évitez le malheur ;
» Déplorez votre gourmandise :
» Songez aux chiens, aux pièges, aux lacets?
» Le fripon est toujours en butte à la surprise ;
» Il n’a pas un instant de paix. »
«Vos conseils sont fort bons, mais sont-ils praticables,
Reprit l’un des enfants : « fripons de père en fils ,
» Songez à vos aïeux, au nom qu’ils ont transmis :
» Innocents, des renards passeraient pour coupables ;
» Tout vol de basse-cour leur serait imputé…
» Il vaut donc mieux, mal famés chez les hommes,
» Que nous restions ce que nous sommes ;
« On se rirait de notre honnêteté…..»
« Puisque le mal est sans remède, »
Soit, dit le moribond…Qu’ai-je entendu? quels cris?
» Ce sont des poules…. Ah ! mes fils, —
» Courez-y…. Mais qu’on se possède!…
» Je sens aussi, moi, qui n’aime plus rien,
» Qui gémis sous le poids des ans, à qui tout cède,
» Qu’un poulet me ferait grand bien ! »
“Le Renard mourant”