Analyses : Les Vautours et les Pigeons, MNS Guillon – 1803.
(1) Mars autrefois. Mars, fils de Jupiter et de Junon, est le Dieu des combats. Il est reconnoissable à son attitude guerrière, à la fureur qui étincelle dans ses yeux, au casque dont sa tête est toujours chargée, à la cotte d’armes qui couvre sa poitrine, an long javelot avec lequel sa main s’apprête à frapper son ennemi. Mars ou la guerre sont mots synonymes.
(2) Mit tout l’air en émûte. Emoy, esmay, esmayance, emute, tous vieux mots remplaces aujourd’hui par celui d’émeute ( qui ne se dit encore que des mouvemens populaires), pour signifier effroi, tristesse , appréhension. ( Voyez le Glossaire à la suite des Poésies de Thibault, comte de Champagne, T. II. p.230)
(3) Non ceux que le printemps, etc. En général ces pacifiques oiseaux que les froids de l’hiver tenaient ensevelis dans la retraite et le silence, et que le printemps ramène pour embellir avec lui la nature, et rallumer les feux de l’Amour. Ni ceux encor que la mère d’Amour met à son char. Les colombes ou les moineaux que Vénus atteloit à son char, parce que de tous les oiseaux, ils passent pour être les plus amoureux. On sent de quel attrait la suspension est pour la curiosité r et quel intérêt va résulter du contraste de ces premières images,si douces et si riantes, avec la description qui va suivre.
Mars autrefois mit tout l’air en émûte.
Certain sujet fit naître la dispute
Chez les oiseaux ; non ceux que le Printemps
Mène à sa Cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants
Font que Vénus est en nous réveillée ;
Ni ceux encor que la Mère d’Amour
Met à son char : mais le peuple Vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang ; je n’exagère point.
Si je voulais conter de point en point
Tout le détail, je manquerais d’haleine.
Maint chef périt, maint héros expira ;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C’était plaisir d’observer leurs efforts ;
C’était pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s’employa. Les deux troupes éprises
D’ardent courroux n’épargnaient nuls moyens
De peupler l’air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens
Le vaste enclos qu’ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion
Dans les esprits d’une autre nation
Au col changeant, au cœur tendre et fidèle.
……………
(4) Le peuple Vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre. Le peuple Vautour. Tout ce qu’il y a de plus féroce, mis en fermentation par la réunion de ses élémens et par les fureurs de la Discorde. Au bec retors, etc. Cette poésie est pleine de nerf; et puis, quelle idée une semblable armure ne donne-t-elle pas du moral de ces féroces animaux ! C’est ainsi que Virgile à peint le Vautour de Prométhée: rostro que immanis vultur obunco. (AEneid. L. VI. v. 597.)
(5) Il plut au sang, M. Marmontel a cité ce trait dans sa Poétique, pour exemple de l’élévation à laquelle La Fontaine savoit aussi porter son génie. ( T. II. p. 466. ) On se moque dès pluies de sang que les anciens auteurs font tomber du ciel : pourquoi ? c’est qu’il ne peut y avoir d’effet, là où il n’y a point de cause : mais ici, deux armées de vautours, acharnées l’une contre l’autre ! Le sang doit couler du haut des airs. L’image n’est donc que juste; mais elle est terrible. Elle, lui paroit encore trop foible, ajoute M. Marmontel, pour exprimer la dépopulation. (Ibid.) Il la fortifie par une perspective à-la-fois terrible et douce :
(6) Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine. On sait que ce créateur de l’espèce humaine étoit enchaîné sur le Caucase, où un Vautour lui dévoroit les entrailles sans cesse renaissantes. Jupiter vouloit par-là punir le père, de tous les crimes de ses enfans.
(7) Au col changeant , au cœur tendre et fidelle. J’ai vu le Prométhée de Goltzius, et j’ai dit : voilà le sublime de la force : mais peut-être qu’avec un burin aussi énergique , on ne sauroit avoir de la grâce. J’ai vu la Galatée et la Vénus du même maître , et j’ai dit : avec tant de grâce on ne peut avoir de la force. Goltzius et La Fontaine m’ont appris qu’ici les extrêmes n’étoient point impossibles.
(8) Tenez toujours divisés les méchans. Mot des, Tibères et des Borgias de tous les temps. Je laisse aux philosophes le soin d’examiner si cette maxime est aussi vraie en morale qu’en politique . Ceci, soit dit en passant ; je me tais.