Fables et poésies de Jean de La Fontaine
L’autre nuit, des vers luisants,¹
Sur des joncs, qu’une mer de nos terres sépare,
Causoientet faisoient les méchants;
Chose sans doute assez bizarre,
Car insectes ne parlent point.
On sait pourtant qu’ils parlèrent,
Et môme sur certain point
On sait bien qu’ils s’emportèrent.
Bouffis d’un peu de lueur
Et tout brûlants de colère,
Ils espéroient de leur cœur
Bien plus qu’il ne pouvoit faire,
Quoiqu’il eût quelque valeur.
A couvert de tout désastre,
Du moins le croyoient-ils, l’un disoit : « Je suis astre ! »
L’autre répondoit ainsi :
« Et moi Je suis astre aussi ! »
Chacun se demandoit: « Qu’en dis-tu? Que t’en semble?»
Et tenant là-dessus un insolent conseil :
« Quand on est comme nous plusieurs astres ensemble,
Cela, disoient-ils tous, vaut-il pas un soleil?
On nous vante un soleil qui forme le tonnerre,
Et qui fait, quand il veut, trembler toute la terre;
Qui, du faîte orgueilleux de ses riches maisons.
Verse une influence féconde;
Qui produit le bonheur du monde
Et lui fait de belles saisons.
« On nous conte de lui des choses nonpareilles :
Dans ses plus grands travaux lui-même il se conduit;
Mais s’il fait, le jour, des merveilles,
Il se repose au moins la nuit. »
1. Cette fable et la suivante ont été imprimées pour la première fois, sans nom d’auteur, sous ce titre: Fables. Les Vers luisans et le Soleil. Les Canars et le Coq (Paris, veuve d’Edme Martin, 1672, in-4 de 10 pages). Ces deux fables, commandées sans doute par Colbert à La Fontaine, dont les Fables choisies venaient d’obtenir un si prodigieux succès, faisaient allusion à la guerre que la France avait déclarée à la Hollande. On devine que les Vers luisants représentent les Hollandais, et le Soleil, Louis XIV. Les Hollandais sont encore mieux caractérisés par les Canards, et le Coq est l’emblème du roi de France. La Fontaine, qui composa beaucoup de vers de circonstance à l’occasion de cette guerre de Hollande, dans laquelle son protecteur, le vicomte de Turenne, se distingua par de si grands faits d’armes, parait avoir négligé de recueillir lui-même ces poésies, qui circulaient manuscrites dans la société intime de ta duchesse de Bouillon. La Table des Vers luisants et du Soleil eut moins de succès que celle des Canards et du Coq, car cette dernière fut traduite en latin par Commire et par Du Perrier, et on la réimprima plusieurs fois avec ces traductions latines. Trallage avait placé, dans son grand recueil de pièces volantes, imprimées et manuscrites, deux ou trois éditions de ces fables allégoriques, à la suite de la fable du . Soleil et des Grenouilles, traduite ou plutôt imitée du latin du P. Commire par La Fontaine. Il est à remarquer que, dans ces éditions, l’auteur a maintenu son système d’orthographe particulier, d’après lequel les mots étaient toujours écrits, à la rime .selon la prononciation, afin de rimer aux yeux comme a l’oreille; ainsi, cous au lieu de coups ;bors, au lieu de bords; pars, au lieu de parts, pour rimer avec vous, trésors, regars. (Les Vers luisants et le Soleil