Fables et poésies de Jean de La Fontaine
L’Horloge, se vantant qu’elle étoit admirable,
Disoit : « On ne voit rien qui me soit comparable,
Ni qui puisse servir le public comme moi;
Il se peut sûrement reposer sur ma foi,
De mon travail infatigable.
Je marche sans débauche, afin d’apprendre aux gens
Ce qu’ils ont d’heures, de moments,
Pour employer à leur affaire.
Aussi, je me fais respecter,
Et sitôt que je parle, on les voit tous se taire,
Afin de me bien écouter.
On compte toutes mes paroles :
Elles servent de règle aux têtes les moins folles.
Tout se conduit chez moi par de justes ressorts. »
En achevant ces mots, voici quelqu’un qui casse
Et renverse tous ses accords.
On court à l’Horlogeur. Elle demande en grâce
Qu’il la tire de ce malheur.
« Je sais, répondit l’Horlogeur,
Que tu ne viens à moi qu’au fort de ta misère;
Que, ne t’étant plus nécessaire.
Tu piaffes pompeusement.
C’est moi qui te tirai d’une lourde matière.
Souviens-t’en désormais, et rentre en ton néant. »
Ce conseil est très-important
Pour ceux qui sont enflés de leur propre mérite,
Au lieu d’en rapporter l’honneur à son auteur,
Lequel bien souvent s’en irrite,
Et, les voyant dans le besoin,
Dédaigne d’en prendre le soin.
1. Nous avons emprunté les six derniers vers au manuscrit coté 151, pour donner à cette fable une moralité plus explicite. Mais nous serions fort en peine de dire si ces vers ont été ajoutés ou supprimés par l’auteur lui-même au texte que nous fournit le tome XI des manuscrite de Conrart. (L’Horloge)