Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Simonide préservé par les Dieux
On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les Dieux, sa Maîtresse, et son Roi.
Malherbe le disait ; j’y souscris quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits ;
Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée.
Simonide* avait entrepris
L’éloge d’un Athlète, et, la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l’Athlète étaient gens inconnus,
Son père, un bon Bourgeois, lui sans autre mérite :
Matière infertile et petite.
Le Poète d’abord parla de son Héros.
Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux, ne manque pas d’écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux,
Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s’étaient signalés davantage.
Enfin l’éloge de ces Dieux
Faisait les deux tiers de l’ouvrage.
L’Athlète avait promis d’en payer un talent ;
Mais quand il le vit, le galand
N’en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquitassent le reste.
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter* cependant :
Venez souper chez moi, nous ferons bonne vie.
Les conviés sont gens choisis,
Mes parents, mes meilleurs amis. Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient, l’on festine, l’on mange.
Chacun étant en belle humeur,
Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table, et la cohorte
N’en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étaient les gémeaux de l’éloge.
Tous deux lui rendent grâce ; et pour prix de ses vers,
Ils l’avertissent qu’il déloge,
Et que cette maison va tomber à l’envers.
La prédiction en fut vraie ;
Un pilier manque ; et le plafonds,
Ne trouvant plus rien qui l’étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N’en fait pas moins aux Echansons.
Ce ne fut pas le pis ; car, pour rendre complète
La vengeance due au Poète,
Une poutre cassa les jambes à l’Athlète,
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés.
La renommée eut soin de publier l’affaire.
Chacun cria miracle. On doubla le salaire
Que méritaient les vers d’un homme aimé des Dieux.
Il n’était fils de bonne mère*
Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n’en fit faire.
Je reviens à mon texte et dis premièrement
Qu’on ne saurait manquer de louer largement
Les Dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène
Souvent sans déroger trafique de sa peine ;
Enfin qu’on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce* :
Jadis l’Olympe et le Parnasse
Étaient frères et bons amis.
Autres analyses
- Commentaires et analyses : Simonide préservé par les Dieux, de MNS Guillon
- Fable Simonide préservé par les Dieux analysée par C. Hygin-Furcy
Commentaires de Chamfort – 1796
Encore de la mauvaise morale : on peut trop louer sa maîtresse, et tout éloge qui n’a pas l’air d’échapper à un sentiment vrai, ou d’être une galanterie aimable d’un esprit facile, déplaît souvent même à celle qui en est l’objet. On peut trop louer son roi,
1°Quand on le loue et qu’il est blâmable ;
2° quand on le loue démesurément pour une bagatelle, etc.
V. 4 Ce sont des maximes toujours bonnes. Au contraire presque toujours mauvaises.
Castor et Follux ne font pas un beau rôle dans cette fable. Quel mal avaient fait ces pauvres conviés et ces échansons ? Cela dut faire grand plaisir à ce Simonide qui était fort avare.
Un jour un athlète qui avait remporté le prix aux courses de mules , lui offrit une somme d’argent pour chanter sa victoire. Simonide mécontent de la somme répondit : Moi, faire des vers pour des animaux qui sont des demi-baudets ! Le vainqueur tripla la somme offerte. Alors Siinonide fit une pièce très-pompeuse qui commence par des vers dont voici le sens : « Nobles filles des coursiers qui devancent les aquilons. »
Le même Simonide fut avec Anacréon à la cour d’Hipparque , fils de Pisistrate. Le dernier ne voulut que des honneurs, il fallut des présents au premier.
V. 64 – Melpomène. Tout cela signifie qu’un poëte peut tirer quelqu’avantage de ses travaux. (Simonide préservé par les Dieux)
Analyses de MNS Guillon – 1803
(1) Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix. «La louange, plus que toute autre chose, fait naître l’amour», disoient, bien long-temps avant La Fontaine, les antiques poètes provençaux :
Lauzor engenr’amor
May c’una sola res. ( Manusc. d’Urfé, pièce 980. )
Une pensée semblable a produit la jolie fable de la Coquette et d’Abeille, de Florian, qui la termine par ce mot : l’encens fait tout passer. Théocrite, dans son idylle de la Mort d’Adonis , et Gay dans sa fable de la Belle et la Guêpe, rappellent la même morale.
(2) Simonide, philosophe et poète grec. Il ne nous reste plus de lui que quelques fragments de poésies, dont Quintilien et Denys d’Halycarnasse ont vanté la douceur et l’harmonie. Il chanta les louanges des Dieux, les victoires des Grecs sur les Perses, les triomphes des Athlètes dans les jeux. Il décrivit en vers les règnes de Cambyse et de Darius, s’exerça dans tous les genres de poésie ; et réussit principalement dans les élégies et les chants plaintifs. Il fut le premier qui composa des vers pour de l’argent.
Simonide préservé par les Dieux) …Lire la suite…