En mère tendre et fidelle,
La lionne de sa mamelle
Allaitoit son petit fan.
Il devoit dominer sur toute la contrée.
« S’il vit, dit le renard, avant qu’il soit un an,
Nous deviendrons sa proie et sa curée ;
Parons le coup adroitement. »
Il va donc lui-même en personne
Trouver sa majesté lionne :
« Et qu’est-ceci ? dit-il d’un air d’étonnement,
Quoi ! votre majesté donne à sa géniture
Une si foible nourriture ?
C’est l’élever trop mollement.
Daims, chevreuils, biches, cerfs, moutons de haute laine
Doivent être l’unique et solide aliment
D’un fan né pour régner dans cette vaste plaine.
Pour un généreux prince issu de votre flanc,
Le véritable lait, madame, c’est du sang. »
Dupes de notre orgueil, tout conseil qui le flatte
Est toujours sur d’être écouté.
Celui-ci fut exécuté.
La complexion délicate
Du jeune fan qu’on cessa d’allaiter,
A ces solides mets ne pouvant résister,
Le fan crève : voilà ce que gagna la mère.
Combien de gens pensent bien faire,
En pressant l’esprit des enfans !
Un père dit : Tenez, mon fils n’a que sept ans ;
Il m’étonne par sa mémoire ;
Il sait la fable, il sait l’histoire.
Et que ne sait-il pas, selon ces bonnes gens ?
Mais comment prétend-on que son esprit digère
Ce qu’on y fourre en l’étouffant ?
On tue, hélas ! le pauvre enfant,
Ou l’on en fait un fils aussi sot que son père.
“La Lionne et le Renard”