Le Bonheur vivait seul et s’ennuyait un peu.
Un jeune homme frappe à sa porte :
Il avait la beauté d’un dieu ,
Et, près de lui, marchait la brillante cohorte
Des Jeux et des Ris. Le Bonheur,
Après l’accueil le plus aimable,
Leur donna le lit et la table,
Et bientôt y joignit son cœur.
Ils jouaient, festinaient, ils riaient…
A la fin Le Bonheur en secret accusa le destin.
Il s’ennuyait encore, et disait à voix basse :
— Comment se fait-il qu’on se lasse
Si vite du Plaisir, cet hôte gracieux,
Toujours gai, vif, ingénieux?…
C’est, je crois, que jamais il ne s’adresse à l’Ame,
Et que trop souvent il s’enflamme
Pour des passe-temps et des jeux
Traînant les regrets après eux. —
Il se tut… Le Plaisir est d’humeur fort légère.
Il s’ennuya bientôt de même et dit un jour :
— Je vous quitte pour une affaire
Qui m’appelle auprès de L’Amour. —
Le Bonheur lui Gt les instances
Que commandaient les bienséances ;
Mais il accepta bravement
Ce retour à l’isolement….
Solitaire, il savait se distraire… N’importe,
On lui fit grand plaisir en frappant à sa porte
De nouveau…. C’était la Vertu,
Non pas austère et vieille femme,
Mais gracieuse et pleine d’âme.
— 0 jeune fille, que veux-tu? —
— Je suis une pauvre exilée,
Peuples et rois m’ont accablée,
Et maintenant j’erre en tous lieux.
Voyez comme je suis vêtue :
Tout en haillons, à demi-nue;
J’ai grand peur d’offenser vos yeux. —
Et cependant qu’elle était belle !…
Le Bonheur la fil vile entrer,
Et déploya, beaucoup de zèle,
Pour lui plaire et la rassurer…
Le Plaisir n’avait pu suffire
Au Bonheur; mais la pauvre enfant,
Que sa confiance défend,
Chez son hôte à jamais sut fonder son empire.
“Le Bonheur le Plaisir et la Vertu”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885