Il y avait dans le champ d’un laboureur un arbre qui ne portait pas de fruit, et qui servait uniquement de refuge aux moineaux et aux cigales bruissantes. Le laboureur, vu sa stérilité, s’en allait le couper, et déjà, la hache en main, il assénait son coup. Les cigales et les moineaux le supplièrent de ne pas abattre leur asile, mais de le leur laisser, pour qu’ils pussent y chanter et charmer le laboureur lui-même. Lui, sans s’inquiéter d’eux, asséna un second, puis un troisième coup. Mais ayant fait un creux dans l’arbre, il trouva un essaim d’abeilles et du miel. Il y goûta, et jeta sa hache, et dès lors il honora l’arbre, comme s’il était sacré, et il en prit grand soin.
[quote style=”1″]Ceci prouve que par nature les hommes ont moins d’amour et de respect pour la justice que d’acharnement au gain.[/quote]
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Vieux Arbre et le Jardinier
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C’était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l’abattre un matin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l’arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t’ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n’ai plus qu’un instant,
N’assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier ; mais j’ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S’écrie : épargne-le, nous n’avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s’asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
Il frappe un second coup. D’abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Écoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J’en pleure de tendresse,
Répond l’avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m’a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;
C’en est assez pour moi : qu’ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s’en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.
Comptez sur la reconnaissance
Quand l’intérêt vous en répond.
- Jean-Pierre Claris de Florian 1755-1794
Les Voyageurs et le Platane
Un jour, deux honnêtes Normands ,
De cidre d’Isigny marchands
Et fabricants,
Voyageaient par la canicule.
On le sait, au mois d’oût rarement l’air circule.
Un platane était là par bonheur pour nos gens.
Le platane offre beaucoup d’ombre :
Bientôt sous son feuillage sombre,
Ils s’en vont respirer le frais.
Levant les yeux , l’un dit : « Que ne suis-je ton maître ?
« D’abord je te fais disparaître :
« Arbre sans fruits doit vivre au milieu des forêts. »
Le platane répond : Dieu ! quelle ingratitude !
« Eh! quoi donc, de m’injurier
« Tu voudrais te faire une étude !
« Quitte mon toit hospitalier. »
Manquera la reconnaissance,
Pour l’homme n’est souvent qu’un jeu :
Le trafiquant estime peu
Le mérite sans opulence .
- Goswin Joseph Augustin, baron de Stassart 1780-1854