Les Animaux, au décès d’un Lion,
En son vivant Prince de la contrée,
Pour faire un Roi s’assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée.
Dans une chartre un Dragon la gardait.
Il se trouva que sur tous essayée
A pas un d’eux elle ne convenait.
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le Singe aussi fit l’épreuve en riant,
Et par plaisir la Tiare essayant,
Il fit autour force grimaceries,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu’en un cerceau.
Aux Animaux cela sembla si beau
Qu’il fut élu : chacun lui fit hommage.
Le Renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au Roi : Je sais, Sire, une cache,
Et ne crois pas qu’autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de Royauté,
Appartient, Sire, à votre Majesté.
Le nouveau Roi bâille après la finance,
Lui-même y court pour n’être pas trompé.
C’était un piège : il y fut attrapé.
Le Renard dit, au nom de l’assistance :
Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?
Il fut démis ; et l’on tomba d’accord
Qu’à peu de gens convient le Diadème.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. Les animaux au décès d’un lion.
Cette fable écrite purement et où le fait est bien raconté , a, cerne semble, le défaut de n’avoir qu’un but vague, incertain, et qu’on a de la peine à saisir.
V.dernier. A peu de gens convient le diadème,
dit La Fontaine; mais il y avait bien d’autres choses renfermées dans cet Apologue. La sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d’un bateleur, devrait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent sans roi. L’assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est, ainsi que les animaux que l’auteur introduit dans cette fable. (Le Renard, le Singe, et les Animaux)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.

(1) Au décès d’un Lion,
En son vivant, prince de la contrée. Le sage Rollin. s’étonas du goût de certains princes qui se faisoient appeler Aigles ou Lions. (Hist. anc. T. III. p. 318.) D’après cela, pourquoi ne transporte roit-on pas aux animaux les titres et le cérémonial des princes? Hélas ! entre les princes et les Lions, il n’y eut trop souvent de différence que le nom.
(2) Dans une chartre, un Dragon lagardoit. Puisqu’il fut radié de la contrée, il a dû avoir sa couronne, ses archives, son char trier. — Le Dragon ou Serpent ailé, a reçu des poètes la commis sion d’ être gardien des trésors ( Voyez Phèdre, Liv. IV. fab. 17) ; c’est lui qui gardait les pommes d’or du jardin des Hesperides ; lui qui défendoit la toison d’or, etc. Chartre, autrefois prison. Ainsi nous disons : l’église de S. Denis de la Châtre ou Chartre, la prison où ce saint martyr fut enfermé. Dans le roman de la rose :
Ou estre mis contre droisture,
Comme Sainct Pol en chartre obscure.
(3) Aucuns trop grosse. « Quelques-uns. Style marotique ou dé palais. C’est le seul cas où aucuns soit plurier. » (Montenault. )
(4) Regretta son suffrage, donna à regret.
(5) Le nouveau roi bâille, etc. Aspire, soupiré après. C’est le mot latin inhiare, ouvrir une grande bouche comme de grands yeux, convoiter.
(6) Qu’à peu de gens convient le diadème. M. l’abbé Aubert termine ainsi sa fable 19 du Livre II. (Les Rats)
Que conclure de cette fable? Ce qu’enseigné mon maître en un sujet semblable : Qu’à peu de gens convient la royauté.