Un gros dindon à taille rebondie,
Portant haut son jabot et sa queue arrondie,
Se promenait d’un pas égal
Et gloussait d’un air doctoral.
Les autres admiraient sa grâce et sa noblesse ;
Cette stupide nation
A toujours prodigué son admiration.
Un d’entr’eux, maigre et sec, et méprisé par suite,
Se jura de se faire applaudir à son tour,
Et pour y parvenir bien vite,
Ni trêve, ni repos, il mangeait tout le jour.
Mais voici, dans la basse-cour,
Un homme que chacun évite,
Homme qui porte un large coutelas.
Il s’en va droit au dindon gras,
Le prend par la gorge et le tue ;
Ses coups d’ailes, ses cris ne le sauveront pas.
Mon avorton fut pris, à cette vue.
D’une indigestion dont il pensa mourir.
Mais, grâce à sa maigreur extrême,
Il vit l’homme au couteau s’intéresser lui-même
Et s’empresser à le guérir ;
Et bénissant son apparence étique,
Il laissa là gloire et faveur publique.
“Les deux Dindons”
- Jacques-Melchior Villefranche – 1829 – 1904