Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Le Rossignol et le Moineau amoureux de la Fauvette
Le tendre Rossignol et le galant Moineau,
L’un et l’autre charmés d’une jeune Fauvette,
Sur les branches d’un ormeau,
Lui parloient un peu d’amourette.
Le petit chantre ailé, par des airs doucereux,
S’efforçoit d’amollir le cœur de cette belle :
« Je serai, disoit-il, toujours tendre et fidèle,
Si vous voulez me rendre heureux.
De mes douces chansons vous savez l’harmonie :
Elles ont mérité les suffrages des dieux ;
Désormais je les sacrifie
A chanter vos beautés, votre nom, en tous lieux ;
Les échos de ce bois le rediront sans cesse,
Et j’aurai tant de soin de le rendre éclatant,
Que votre cœur enfin sera content
De voir l’excès de ma tendresse.
— Et, moi, dit le Moineau, je vous baiserai tant!… »
A ces mots, le procès fut jugé dans l’instant.
En faveur de l’oiseau qui porte gorge noire,
On renvoya l’oiseau chantant.
Voilà la fin de mon histoire.
En voici la morale et qu’il faut retenir :
Beautés qui, tous les jours, voyez dans vos ruelles
Un tas d’amants transis ne vous entretenir
Que de leurs vains soupirs, de leurs peines cruelles,
Bagatelles!
Songez à préférer le solide au brillant.
On se passe fort bien de vers, de chansonnettes;
Le talent du Moineau, c’est là le vrai talent.
Je sais maintes Cloris du goût de la Fauvette,
A moins qu’il ne survienne un tiers oiseau donnant :
Alors il n’est plus étonnant
Que ce dernier gagne sur l’étiquette.
1. « C’est une fable qu’on attribue à M. de La Fontaine, de glorieuse et poétique mémoire, dit le sieur J. G. J. D. M., l’éditeur de la Bibliothèque volonté, ou Elite de pièces fugitives (Amsterdam, Daniel Pain, 1700, pet. in-12, pages 548 et suiv.). On ne répond pas qu’elle soit véritablement de lui; mais, comme des gens de très-bon goût la lui donnent, on ne sauroit se tromper de regarder cela comme un préjugé favorable du mérite de celte pièce; cet homme, incomparable en ce genre, n’ayant jamais rien fait que d’excellent. »
Cette pièce avait paru, pour la première fois, sans aucune indication d’auteur, dans le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes tant en prose qu’envers (Utrecht, Antoine Schouten, 1699, petit in-12), où l’on trouve des poésies inédites de La Fontaine, également anonymes : les Quiproquos, l’épitre à l’abbesse de Malnoue, etc. (Le Rossignol et le Moineau amoureux de la Fauvette)