Saint-Marc Girardin
Académicien, professeur, analyses des fables – Ésope
Analyses des fables d’Ésope :
Les fables d’Ésope se rattachent à cette vieille sagesse : elles prêchent la morale pratique, celle qui enseigne à ne pas faire de bévues dans le monde, à éviter les fautes encore plus que les péchés, à être avisé plutôt encore qu’à être vertueux, ou à être vertueux avec prudence et habileté. Le défaut de cette morale, c’est qu’elle ne nous enseigne pas assez à détester le mal. Elle le prend comme une nécessité de ce monde et nous habitue à le supporter, soit dans les autres, soit dans nous-mêmes; à le flatter même au besoin, si c’est le parti le plus sûr ou le plus commode. Dans les légendes ordinaires de la fable je reconnais l’expérience de l’Orient, c’est-à-dire de la vieille pairie du despotisme et de la servitude. J’y vois partout la tyrannie du lion, la cruauté du loup, la perfidie du renard, la faiblesse impuissante de l’agneau; nulle part la justice des lois venant au secours des opprimés; nulle part le sentiment énergique du droit luttant contre l’abus de la force et du pouvoir; nulle part l’idée de la liberté et de l’indépendance; c’est-à-dire aucun des sentiments qui font la dignité de l’homme et qui fondent la civilisation sur la justice, laquelle est le droit des petits et le devoir des grands. Dans la fable, la justice et la vérité se déguisent sous je ne sais combien de voiles et prennent toutes sortes de précautions. Je veux bien croire que ,la fable veut, comme la philosophie, enseigner aux hommes la justice et la vérité; mais quelle différence d’allure et de langage entre la fable et la philosophie! (analyses des fables d’Ésope par Saint-Marc Girardin)
La Fontaine et les fabulistes, par Saint-Marc Girardin, 1867
Saint-Marc Girardin, 1801 – 1873