Antoine Alfred Désiré Carteret
Dans la nuit d’une cave un rayon d’or tombait.
Un rayon dans lequel une blanche poussière
En tourbillons légers montait et descendait.
Profitant de cette lumière
Une araignée à ses fils travaillait.
On entendait voler une mouche imprudente.
Une souris sans but galopait frétillante
Tandis que deux gros rats s’étrillaient le museau.
Quoique n’étant pas buveurs d’eau
Les tonneaux sont fort taciturnes :
C’est le fait des êtres nocturnes.
Cependant, excité par le joyeux tableau
Que présentait en ce moment la cave,
L’un des tonneaux qui la meublaient sentit
Se dissiper son humeur grave.
« Hé ! hé ! voisin, » dit-il, « toujours l’air déconfit ?
« C’est gémir trop longtemps, seigneur de La Piquette.
« Bien des gens prisent fort la liqueur aigrelette
« Qu’après certain bourgogne on a mise chez vous ;
« Les cochers, les maçons, par exemple en sont fous. »
Le tonneau bafoué répondit : « Dans la vie
« Souvent de tristes jours l’allégresse est suivie.
« Du reste, beau monsieur à parole impolie,
« Le gosier d’un maçon vaut bien celui d’un roi.
« Tenez, très-franchement, vous gagnez à vous taire. »
L’autre reprit : « Oh ! le bourru ! Ma foi,
« J’avais mieux auguré de votre caractère.
« Je crains beaucoup que votre humeur n’altère
« Le délicat breuvage en vos flancs contenu. »
Il n’avait pas fini, qu’à la cave venu
Un tonnelier commence à le mettre en bouteilles.
Un camarade arrive et prend part au labeur ;
On tâte le nectar, cela donne du cœur ;
On travaille en chantant le doux produit des treilles.
Tonneau vidé, survient le maître du logis.
Il fait sonner le bois, il inspecte la bonde.
« Vieux fût ! » dit-il. « Est-ce aussi votre avis ? »
On l’approuve. « Eh bien donc ! » reprit-il, « mes amis,
« Dressez-le sur le fond : rien de meilleur au monde
« Pour loger ma choucroute. » A l’instant ce fut fait.
L’autre tonneau plus gai, se mit à dire
Dès que les gens furent partis : « J’admire
« Vraiment votre bonheur ! La choucroute me plaît ;
« Elle exhale un arôme impossible à décrire,
« Et pour les savetiers nul mets n’est plus friand. »
Cette aventure nous apprend
Que des revers d’autrui nous avons tort de rire,
Ne sachant ce qui nous attend.
“Au fond d’une cave”