Les gens tenant le Parlement d’Amours
Informaient pendant les Grands Jours,
D’aucun abus commis en l’Ile de Cythère.
Par devant eux se plaint un amant mal-traité,
Disant que de longtemps il s’efforce de plaire
A certaine ingrate beauté.
Qu’il a donné des sérénades,
Des concerts et des promenades:
Item mainte collation,
Maint bal et mainte comédie:
A consacré le plus beau de sa vie
A l’objet de sa passion:
S’est tourmenté le corps et l’âme,
Sans pouvoir obliger la Dame
A payer seulement d’un souris son amour.
Partant conclut que cette belle
Soit condamnée à l’aimer à son tour.
Fut allégué d’autre part à la Cour
Que plus la Dame était cruelle,
Plus elle avait d’embonpoint et d’attraits;
Que perdant ses appas Amour perdait ses traits:
Qu’il avait intérêt au repos de son âme:
Que quand on a le coeur en flâme
Le teint n’en est jamais si frais.
Qu’il était à propos pour la grandeur du Prince,
Qu’elle traitât ainsi toute cette Province,
Fît mille soupirants sans faire un bien-heureux,
Dormît à son plaisir, conservât tous ses charmes,
Augmentât les tributs de l’empire amoureux,
Qui sont les soupirs et les larmes.
Que souffrir tels procès était un grand abus:
Et que le cas méritait une amende:
Concluant pour le surplus
Au renvoi de la demande.
Le Procureur d’Amours intervint là-dessus,
Et conclut aussi pour la belle.
La Cour, leurs moyens entendus,
La renvoya: permis d’être cruelle;
Avec dépens; et tout ce qui s’ensuit.
Cet arrêt fit peu de bruit
Parmi les gens de la Province.
La raison de douter était tous les cadeaux,
Bijoux donnés, et des plus beaux:
Qui prend se vend: mais l’intérêt du Prince
Souvent plus fort qu’aucunes lois
L’emporta de quatre ou cinq voix.
“Conte: Imitation d’un livre intitulé les arrêts d’amour”