Prieur de Thermes et de la Faye Audin
De l’Aigle et des Aiglons – Une Aigle Mère de deux jeunes Aiglons qu’elle nourissoit délicatement dans son Aire, se vit importunée plusieurs fois par le plus grand, de lui permettre 1 qu’il pût aller lui-même à la proie. Quoi que l’Aigle lui representât qu’il étoit trop jeune, qu’il n’avoit pas allez de force pour résister au moindre ennemi, & que la foi-blesse l’empêcheroit de remuer ses ailes 2, néanmoins elle ne l’arrêta qu’à peine. Voiant enfin qu’il étoit impossible de lui faire passer autrement cette fantaisie , elle le fit monter sur ses aîles: & comme elle fut à fleur de terre au dessus d’un pré, dont l’herbe étoit fort épaisse, elle lui permit de s’élancer en l’air, & de faire son aprentissage. Son vol ne fut pas fort long ; car manquant de force, il tomba sur l’herbe, & quoi qu’il se blessât peu, la douleur 3 ne fut pas si petite qu’il ne protestât de ne plus voler, que ses plumes ne fussent plus fortes : Toute-fois peu de jours après il recommença ses importunitez 4 près de sa mère, & demanda qu’au moins il lui fût permis de la suivre. Elle qui étoit sage, craignant que par témérité il ne s’élançât de son Aire, l’abaissa de beaucoup, & s’en alla à la quête, avec cette promesse qu’il n’entreprendroit rien qu’elle ne fût revenue. Mais elle n’eut pas si tôt fait son premier vol, qu’un jeune 5 Vautour l’anime à prendre courage, lui remontrant peu judicieusement qu’on l’élevoit avec trop de délicatesse. Pour lors, sans marchander d’avantage, il s’élance de son nid, & se laissant emporter plus à la faveur du vent que de ses ailes, tomba sur le fable, après avoir long-tems chancelé. L’Aigle entendant son cri y accourue à la hâte, & voiant proche de lui le Vautour, que l’Aiglon accusoit, comme la première cause, le déchira à coups de bec, puis se chargea de son petit Aiglon, qu’elle reporta dans son Aire.
1. Il ne réüssit jamais bien à ceux qui entreprennent quelque chose au delà, de leurs forces.
2. La jeunesse n’a presque jamais d’oreille pour entendre les raisons.
3. On ne reconnoit jamais bien sa faute, que lors qu’on en porte la peine.
4. Quand le mal est passé, on oublie le péril.
5. La jeunesse se perd par la flaterie.
“De l’Aigle et des Aiglons”
- Prieur de Thermes et de la Faye Audin, 16.. ?