“De l’Avare et de l’Envieux” – Jupiter voulant connaître à fond les sentiments des hommes, envoya Apollon sur la terre pour sonder leurs inclinations. Il rencontra d’abord un Avare et un Envieux. Il leur dit de la part de Jupiter qu’il avait ordre de leur accorder tout ce qu’ils lui demanderaient, à condition que le second aurait le double de ce que le premier aurait demandé. Cette circonstance fut cause que l’Avare ne put jamais se résoudre à rien demander, dans l’appréhension qu’il eut que l’autre ne fût mieux partagé que lui ; mais l’Envieux demanda qu’on lui arrachât un oeil, afin qu’on arrachât les deux yeux de l’Avare, selon les conventions d’Apollon.
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Esope – VIIe-VIe siècle av. J.-C
de cupido et invido.
Juppiter ambiguas hominum praediscere mentes
Ad terras Phoebum misit ab arce poli.
Tunc duo diversis poscebant numina votis;
Namque alter cupidus, invidus alter erat.
His sese medium Titan scrutatus utrumque,
Obtulit et precibus cum peteretur, ait:
Praestandi facilis, nam quaeque rogaverit unus,
Protinus haec alter congeminata feret.
Sed cui longa iecur nequeat saciare cupido,
Postulit admotas in nova dona preces,
Spem sibi confidens alieno crescere voto,
Seque ratus solum munera ferre duo.
Ille ubi captantem socium sua praemia vidit,
Supplicium proprii corporis optat ovans.
Nam petit exstinctus quo lumine degeret uno.
Alter ut hoc duplicans vivat uterque carens.
Tunc sortem sapiens humanam risit Apollo,
Invidiaeque malum retulit ipse Iovi,
Quae dum proventis aliorum gaudet iniquis,
Laetior infelix et sua damna cupit.
L’Homme envieux et l’Homme cupide.
Jupiter, du haut des cieux, envoya Phébus sur la terre pour s’éclairer sur les dispositions secrètes des hommes. Deux hommes alors fatiguaient les dieux de leurs voeux opposés : l’un était cupide, l’autre envieux. Phébus, ayant. sondé leurs cœurs, se présenta au milieu d’eux et leur dit : « Jupiter, dans sa bonté, est prêt à satisfaire vos voeux : car, tout ce que l’un de vous aura souhaité, l’autre aussitôt l’obtiendra en quantité double. » Mais celui dont le cœur est dévoré d’une insatiable convoitise, révoque ses souhaits pour les porter sur des objets de nature toute différente; il espère d’ailleurs tirer profit des vœux de son compagnon et se persuade qu’il recevra seul le double présent du dieu. L’envieux, voyant que l’autre cherche à le priver de sa part de faveurs, se souhaite à lui-même une affliction corporelle avec une joie méchante : car il demande au dieu de lui infliger la perte d’un oeil, pour que son compagnon, en vertu de son double privilège, vive désormais privé des deux yeux. Alors, bien édifié sur la nature humaine. Apollon se prit à rire et alla rapporter à Jupiter les tristes effets de l’envie, passion funeste qui, pour jouir des infortunes d’autrui, va jusqu’à désirer avec joie son propre malheur.
- Avianus – IVe. et VIe. siècle
L’Avare et l’Envieux
Deux hommes avaient de leurs vœux
Importuné long-temps le maître du tonnerre :
L’un était un Avare, et l’autre un Envieux.
Jupiter envoya Mercure sur la terre.
« Que voulez-vous, leur dit le messager des Dieux ?
« Parlez, et, concevez quel bonheur est le vôtre !
« De vous, dans ses souhaits, chacun sera content;
« Mais ce que l’un voudra, Jupiter veut que l’autre
« En ait le double au même instant.
« Je viens exprès du ciel pour un bienfait si rare. —
« Le double à l’autre ! dit l’Avare ;
« Je ne puis parler le premier ;
« C’est d’abord à monsieur de me gratifier. —
«Il a raison, je m’y prépare,
S’écrie aussitôt l’Envieux :
« Que l’on me crève un œil ! monsieur en perdra deux. »
Esope ! Esope ! ah ! quelle fable !
Ces portraits peuvent-ils ressembler à quelqu’un ?
Oui. L’Avare est affreux, l’Envieux exécrable,
Et souvent les deux n’en font qu’un.
- François de Neufchâteau – 1750 – 1828