“Du Savetier Médecin” – Un Savetier des plus ignorants dans son métier, trouva si peu son compte au profit qui lui en revenait, qu’il lui prit fantaisie d’en changer. Un jour il se mit en tête d’être Médecin, et le fut, au moins ou le crut tel. Quelques termes de l’art qu’il apprit, son effronterie et son babil, joints à l’ignorance de ses Voisins, eurent bientôt fait d’un artisan très-maladroit un fort habile Charlatan. Il publia partout que la vertu de ses remèdes était infaillible, et chacun le crut sur sa parole. Un de ses Voisins, pourtant moins dupe que les autres, s’en moqua ; voici comment. Il se dit attaqué d’un mal de tête, et mande le docteur. Celui-ci vient, et raisonne fort au long sur le prétendu mal ; ensuite il assure le malade qu’il l’en délivrera, et en peu de temps, pourvu qu’il veuille s’abandonner à ses soins. ” Pauvre ignorant, repartit le Voisin, en éclatant de rire, et comment pourrai-je me résoudre à te livrer ma tête, quand je ne voudrais pas seulement te confier mes pieds ? “
Autre version
” Le Médecin ignorant “ – Un médecin ignorant traitait un malade. Tous les autres médecins affirmaient que ce malade n’était pas en danger, mais que son mal serait long à guérir; seul l’ignorant lui dit de prendre toutes ses dispositions, qu’il ne passerait pas le lendemain. Là-dessus, il se retira. Au bout d’un certain temps, le malade se leva et sortit, pâle et marchant avec peine. Notre médecin le rencontra : « Bonjour, dit-il, comment vont les habitants des enfers — Ils sont tranquilles, répondit-il, parce qu’ils ont bu l’eau du Léthé. Mais dernièrement la Mort et Hadès faisaient de terribles menaces contre tous les médecins, parce qu’ils ne laissent pas mourir les malades, et ils les inscrivaient tous sur un registre. Ils allaient aussi t’inscrire; mais je me suis jeté à leurs pieds, en les suppliant, et leur ai juré que tu n’étais pas un vrai médecin, et qu’on t’avait incriminé sans motif. »
La fable présente met au pilori les médecins dont toute la science et le talent consistent en belles paroles.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Ex Sutor Medicus
Malus cum sutor inopia deperditus
Medicinam ignoto facere cœpisset loco
Et venditaret falso antidotum nomine,
Verbosis adquisivit sibi famam strophis.
Hic cum iaceret morbo confectus gravi
Rex urbis, eius experiendi gratia
Scyphum poposcit: fusa dein simulans aqua
Illius se miscere antidoto toxicum,
Combibere jussit ipsum, posito præmio.
Timore mortis ille tum confessus est,
Non artis ulla medicum se prudentia,
Verum stupore vulgi, factum nobilem.
Rex advocata contione hæc edidit:
Quantæ putatis esse vos dementiæ,
Qui capita vestra non dubitatis credere,
Cui calceandos nemo commisit pedes?
Hoc pertinere vere ad illos dixerim,
Quorum stultitia quæstus impudentiæ est.
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Cordonnier Médecin
Un mauvais Cordonnier, perdu de misère, mourant de faim, alla exercer la médecine dans un pays où il n’était pas connu, il vendait un faux antidote, et son verbiage lui eut bientôt fait un renom. Le roi de la ville, qu’une grave maladie retenait au lit, voulut mettre son savoir à l’épreuve. Il demanda une coupe, y versa de l’eau, et feignit de mêler du poison à l’antidote du prétendu médecin; puis il lui ordonna de boire, lui promettant une récompense. La peur de la mort fit alors avouer à notre homme que ce n’était pas à ses talents en médecine, mais à la sottise du vulgaire, qu’il devait sa réputation. Le roi assemble les habitants, et leur dit:
« Voyez la folie qui vous aveugle; vous allez confier vos tètes à celui à qui personne n’a voulu donner ses pieds à chausser. »
Ceci regarde, à mon avis, ceux qui, par leur sottise, enrichissent l’impudence.
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke (1808 – 1886)
“Du Savetier Médecin”