“D’un Loup et d’un Agneau” – Un Loup buvant à la source d’une fontaine, aperçut un Agneau qui buvait au bas du ruisseau ; il l’aborda tout en colère, et lui fit des reproches de ce qu’il avait troublé son eau. L’Agneau, pour s’excuser, lui représenta qu’il buvait au−dessous de lui, et que l’eau ne pouvait remonter vers sa source. Le Loup redoublant sa rage, dit à l’Agneau qu’il y avait plus de six mois qu’il tenait de lui de mauvais discours. ” Je n’étais pas encore né, répliqua l’Agneau. Il faut donc, repartit le Loup, que ce soit ton père ou ta mère. ” Et sans apporter d’autres raisons, il se jeta sur l’Agneau et le dévora, pour le punir (disait−il) de la mauvaise volonté et de la haine de ses parents.
Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Lupus et Agnus.
Ad rivum eundem lupus et agnus venerant
siti compulsi; superior stabat lupus
longeque inferior agnus. Tunc fauce improba
latro incitatus jurgii causam intulit.
« Cur, inquit, turbulentam fecisti mihi
aquam bibenti ? » Laniger contra timens :
« Qui possum, quaeso, facere quod quereris, lupe ?
A te decurrit ad meos haustus liquor. »
Repulsus ille veritatis viribus :
« Ante hos sex menses, male, ait, dixisti mihi ».
Respondit agnus : « Equidem natus non eram. »
« Pater hercle tuus, ille inquit, male dixit mihi » ;
atque ita correptum lacerat iniusta nece.
Haec propter illos scripta est homines fabula
qui fictis causis innocentes opprimunt.
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Loup et l’Agneau
Attirés par la soif vers le même ruisseau.
Certain jour, le Loup et l’Agneau
Se rencontrèrent au rivage.
L’Agneau respectueux ne puisait son breuvage
Que fort au-dessous du brigand.
Celui-ci , de rage écumant,
A son faible voisin soudain cherche querelle :
« Pourquoi troubler, dit-il, la liqueur que je bois ? »
L’Agneau répond, d’une tremblante voix,
« Le puis-je, seigneur? L’eau de vous à moi ruisselle. »
A cela que répondre ? Il poursuivit ainsi :
» Tu m’as calomnié cette automne dernière. »
— « Eh! comment l’aurais-je pu faire,
« Quand je ne vois le jour que de ce printemps-ci? »
— « Ce n’est pas toi ? c’est donc ton père ? »
Cela dit, il l’immole à sa faim meurtrière.
Vous reconnaîtrez là le coupable puissant,
Qui, sous un faux prétexte, opprime l’innocent.
- Traduction par De Joly , fables complètes de Phèdre 1813.
Le Loup et l’Agneau
Un Loup et un Agneau, pressés pat la soif, étaient venus au même ruisseau. Le Loup se désaltérait dans le courant bien au dessus de l’Agneau; mais, excité par son insatiable avidité, le brigand lui chercha querelle. « Pourquoi, lui dit-il viens-tu troubler mon breuvage?» L’Agneau répondit, tout tremblant : « Comment, je vous prie, puis-je faire ce dont vous vous plaignez? cette eau descend de vous à moi. » Repoussé par la force de la vérite , le Loup reprit : « Tu médis de nous, il y a six mois.
— Mais je n’étais pas né, répliqua l’Agneau.
— De par Hercule ! ce fut donc ton père, ajouta le Loup. »
Et, dans son injuste fureur, il le saisit et le déchire.
Cette fable a été écrite contre ceux qui, sous de faux prétextes, oppriment les innocens.
- Charles-Joseph Panckoucke (1736 – 1798) traduction de la fable de Phedre
Lupus et Anus
Rustica nutrix puerulo comminabatur vagienti : « Desine, ne te projiciain lupo ». Qui audierat lupus, anunivera lo-quutam esse ralus, usque restitit, paratam scilicet cœnam cœnaturus, dum infans primo vespere obdormiverit. Ipse autem esuriens, et re vera lupus incassum hians, abiit, post-quam diu spei assedisset inani.
At lupa conjux reducem interrogans, « Quo » aiebat « modo nil raptum ferens venisti, ut solebas »? Cui lupus: « Quo etenim modo, qui fœminae maie credidi »?
Docet nos fabula non oportere cuilibet credere, ac fœminae inprimis magna et plurima pollicenti. — In eum qui vanis deceptus fuit fallaciis.
- Babrius, Babrias (IIe. ou IIIe. siècle)
Le Corbeau et le Renard
Un corbeau était perché, tenant à son bec un fromage. Un renard des plus fins, alléché par l’odeur, dupa l’oiseau en lui tenant à peu près ce langage : « Corbeau, tes plumes sont belles, tes yeux perçants, « ton cou admirable: ta poilriue égale celle de l’aigle, « tes serres l’emportent sur celles de tous les animaux. «Merveilleux oiseau, es-tu muet? ne fais-tu entente dre aucun chant?» Le corbeau, que cette louange enfla d’un vain orgueil, laissa tomber le fromage de son bec, et se mit à crier. Le fripon s’en saisit, et, railleur insolent : « Tu n’étais pas muet, dit-il; tu sais « bien crier. Corbeau, il ne te manque rien que d’a-« voir un peu de jugement. »
- Babrius, Babrias (IIe. ou IIIe. siècle)
Le Loup et l’Agneau
Le loup querellait un agneau
Qui ne savait pas troubler l’eau ;
À tous coups l’injuste puissance
Opprime la faible innocence.
L’agneau n’alléguait rien pour sa juste défense,
Qui ne mit le loup dans son tort ;
Mais il ne savait pas qu’opprimer l’innocence,
C’est le droit du méchant, quand il est le plus fort.
Issac de Benserade – (1612 – 1691)
Le Loup et l’ Agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Jean de la Fontaine – ‘1621 – 1695)