Un agneau blanc, au bord d’une onde pure.
Il boit.
Un loup survient. Il est gris : aurait-il bu ?
« Salut l’agneau, on trinque ? Un petit Mouton-Cadet ? Dis pas non, c’est ma tournée.
– Mollo Louloup, dit l’autre, tu zigzagues… Dans c’t’état, tu ne passeras jamais le pont ; tu devrais mettre un peu d’eau dans ton vin. »
Vexé, le loup pique une rage noire :
– Trouble pas mon breuvage, l’agneau, ou tu çra châtié de ta témérité (la longue langue rouge s’embrouille entre les crocs). Et puis d’abord j’vois pas d’pont !
Il regarde la rivière, d’abord à gauche, puis à droite. Puis il ajoute, subitement calmé : Tant pis, je l’attendrai ici. »
Et il s’assoit dans l’herbe verte, à l’ombre d’un bosquet qui borde le ruisseau.
« Dis, l’herbe est rase… c’est toi qui l’a tondu d’une longueur de langue ? Tu sais bien qu’j’n’aime pas, ça pique les pattes ! »
– Mais non !
– Si ! Même que je te l’ai dit l’an passé !
– L’an passé ? Et comment k’t’aurais fait puisque j’n’étais pas né ?
– Si ce n’est à toi, c’est donc à un d’tes frères.
– J’en ai point. J’suis fils unique.
– C’est donc quelqu’un des tiens.
– Toujours pas. J’suis orphelin.
– Assez, tu m’embrouilles. Tu vas pas me faire croire que je sais pas que vous êtes vraiment vraiment vraiment nombreux, vous les moutons. Même sans compter vos bergers et vos chiens. Tiens, rien qu’à toi tout seul, t’es deux, je le vois bien ! Mais si ! Approche un peu que je te vous recompte. »
A force de comptage de mouton, il advint ce qu’il devait advenir.
Quand le loup se réveille, il est tout seul au bord de l’eau, le teint vert, avec un joli mal de crâne. Plissant les yeux, il regarde la rivière, d’abord à gauche, puis à droite. Alors il murmure, sa langue pâteuse s’emmêlant dans ses crocs rêches :
« Zut alors, plus d’agneau. Tu parles d’un lâcheur ! Et toujours pas le moindre pont en vue. C’est bien la dernière fois que j’attends ici ».
Qu’eut-il mieux fait que de se plaindre ?