Bornons ici cette carrière.
Les longs ouvrages me font peur.
Loin d’épuiser une matière,
On n’en doit prendre que la fleur.
Il s’en va temps que je reprenne
Un peu de forces et d’haleine,
Pour fournir à d’autres projets.
Amour, ce tyran de ma vie,
Veut que je change de sujets ;
Il faut contenter son envie.
Retournons à Psyché ; Damon, vous m’exhortez
À peindre ses malheurs et ses félicités.
J’y consens ; peut-être ma veine
En sa faveur s’échauffera.
Heureux si ce travail est la dernière peine
Que son époux me causera !
“Epilogue du livre six”
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
L’Épilogue est à la fin d’un ouvrage, ce que le Prologue est à son commencement : il en est la conclusion, comme celui-ci en est l’ avant-propos. Notre auteur, en composant cet épilogue, avait sous les yeux celui qui termine le IVe. livre des Fables de Phèdre.
(1) Les longs ouvrages me font peur. C’était là une des maximes chéries de l’antiquité. Callimaque, à la fin de son hymne à Jupiter, répond par cette comparaison à ses amis qui lui reprochaient de n’avoir point donné de grands ouvrages : L’Euphrate est un fleuve immense; mais je préfère ces fontaines limpides et pures, dont chaque goûte est préférable à toute la fange et au limon de ce grand fleuve.
(2) Loin d’épuiser une matière,
On n’en doit prendre que la fleur, Phèdre avait dit de même ;
Températae suaves sunt argutae,
Immodicœ offendunt.
(Epilog.Libr.V.)
Et dans la célèbre épitre à madame de la Sablière, où notre poète s’est peint lui-même, il revient sur les mêmes images:
Je suis chose légère , et vole à tout sujet, Je vais de fleur en fleur , et d’objet en objet.
(3) Il s’en va temps. La Fontaine n’a employé qu’une seule fois cette tournure, et elle est encore de trop.
(4) Retournons à Psyché. Titre d’un ouvrage mêlé de vers et de prose, composé par notre auteur, sur le modèle des Aventures de Psyché, un des plus longs et des plus brillants épisodes du roman latin d’Apulée. Cet ouvrage, un de ceux qui aient le plus coûté à La Fontaine, comme il le confesse dans sa préface, avait été plusieurs fois repris et interrompu.
(5) Que son époux. L’Amour ou Cupidon, amant et époux de Psyché, que La Fontaine appelle, avec quelque raison, le tyran de sa vie, soit par la dépendance où ce sentiment jette les âmes qui s’y livrent, soit par une inconstance de caractère qu’il portait au sein même des jouissances.