C’est une immortelle dont la voix mensongère en tout temps nous charme et nous amuse ; c’est une enchanteresse qui nous entoure de prestiges ; qui, à ses réalités, substitue, ou du moins ajoute des chimères agréables et riantes, et qui, cependant, soumise à l’histoire et à la philosophie, ne nous trompe jamais que pour mieux nous instruire. Fidèle à conserver les réalités qui lui sont confiées, elle couvre de son enveloppe séduisante et les leçons de l’une, et les vérités de l’autre. Son sceptre enchanteur ne fait que des miracles et ne produit que des métamorphoses. Elle nous transporte d’un monde où nous sommes toujours mal, dans un autre monde qui, créé par l’imagination, a tout ce qu’il faut pour nous plaire. Elle embellit tout ce qu’elle touche: si elle raconte, elle sème les merveilles, les prodiges, pour attacher la curiosité, pour graver dans la mémoire ; si elle trace des leçons, c’est d’une main si légère, que l’orgueil n’en est pas atteint. Elle se joue autour de la vérité, pour ne la laisser voir qu’à la dérobée, et, soit qu’elle ait voulu ou nous agrandir, ou nous consoler, elle prend ses exemples dans des espèces privilégiées, dans une race divine qu’elle élève exprès au-dessus de la faible humanité ; tantôt nous conduisant à la vertu par ses exemples illustres tantôt caressant notre faiblesse, orgueilleuse de retrouver nos passions et nos fautes dans la perfection même.
- Antoine-François Le Bailly (ou Lebailly) 1756- 1832