Ange Henry Blaze, baron de Bury né à Avignon, 19 mai 1813 et mort Paris, 15 mars 1888, est un écrivain, poète, critique littéraire etc…
Ce procès d’immoralité intenté à la Fontaine ne semble pas près de finir. Lamartine, qui se plaisait à n’accepter que sous bénéfice d’inventaire certaines admirations traditionnelles, a, si l’on s’en souvient, fort maltraité notre poète. Il trouvait la morale des fables vulgaire, étroite, inepte même, et l’accusait de maximer les vilains calculs de l’égoïsme. Disons tout de suite que Lamartine n’aimait pas la Fontaine, et ce grand esprit ne critiquait bien que ce qu’il aimait bien. D’ailleurs, entre le poète des Méditations et l’auteur des Contes et des Fables, nul trait d’union, point d’affinité, ni d’homme ni de race ! Les goûts mêmes qu’ils possèdent en commun, au lieu de les rapprocher, les éloignent. Tous les deux adorent la nature, et de quels yeux différents ils l’envisagent, celui-là toujours porté aux vues d’ensemble, planant de haut dans son nuage, celui-ci terre à terre, musa pedestris, flânant par les buissons, tout entier à son petit monde et n’ayant cure de remonter de ce fini qui l’amuse à l’infini qui l’ennuierait ! La langue qu’ils parlent a beau n’être pas celle du vulgaire, elle ne les rapproche point davantage. J’ai dit que Lamartine détestait les vers libres ; la seule vue d’une de ces pages mal alignées l’horripilait.” Ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient. D’ailleurs, ces histoires d’animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les fables de la Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel !.” Je regrette que Lamartine ne se soit pas récusé vis-à-vis de la Fontaine, non que l’étude qu’il en a faite manque d’intérêt, les plumes telles que la sienne ne sont jamais en reste de brillantes raisons ; mais cet art agréable et captieux du paradoxe, sans danger pour les esprits suffisamment informés, a l’inconvénient de donner l’éveil à toute une légion d’écrivains maladroits, ouvriers de la deuxième heure, qui viennent ensuite appuyer lourdement et fausser le goût au nom de la morale. « Quand les ignorants, écrit excellemment Mme de Staël, ont attrapé sur un sujet sérieux une phrase quelconque dont la rédaction est à la portée de tout le monde, ils s’en vont-la redisant à tout propos, et ce rempart de sottise est très-difficile à renverser. » La morale de la Fontaine, eh ! mon Dieu ! elle est un peu tout ce qu’on veut et tout ce qu’on voudra : il la prend autour de lui, comme il la trouve, et sans jamais se gêner le moins du monde. Ainsi fait-il pour ses idées sur les animaux, qui sont les idées générales, en même temps justes et inexactes, selon que vous allez de la définition populaire à l’observation scientifique.
Tableaux romantiques de littérature et d’art ; par Henri Blaze de Bury (1813-1888), Didier (Paris),1878.