Fables en quatrains par Henri Dottin
Dottin, Henri est né à Beauvais le 4 mai 1816, mort en 1883. Pseudonyme : Léontine de R. Il a collaboré : Journal de l’Oise ; Le Semeur de l’Oise ; Bulletin de l’Athénée de Beauvaisis ; L’Écho de France ; Revue pour tous ; La France littéraire…
Les longs ouvrages me font peur. Jean de La Fontaine.
– Fables en quatrains, par Henri Dottin, La – C. Gosselin (Paris) 1840.
Que de riches auteurs roulent, de page en page,
De leurs mots orgueilleux le brillant équipage ;
Moi qui, trop pauvre, n’ai qu’un bien modeste train ,
Je loge mes pensées dans un étroit quatrain.
LE PAPIER ET LA LOQUE
Le papier se moquait de , la loque fort sale
Qu’un valet insolent chassait,hors d’une salle.
« Il te sied tien, ma foi, de me railler ainsi :
Ne te souvient-il plus que tu fus loque aussi ? »
LE CHAT ET LE RAT
« Frères, disait un chat, croyez-moi, désormais
Des rats inoffensifs ne faisons plus nos mets. »
Un rat passe à l’instant, il le croque au passage.
Tel prêche la morale, et n’en est pas plus sage.
LE PLATANE ET LE SAULE PLEUREUR
« Pourquoi laisser, mon cher, ton beau front se courber ?
Dit le platane au saule, ô la sotte habitude ! »
Mais le saule gardant sa modeste attitude,
Répond : « Sur les hauteurs la foudre aime à tomber. »
LE POISSON, LE VER ET L’HAMEÇON
« Dieu! quel friand morceau ! » s’écriait un poisson,
En voyant le long ver qui couvrait l’hameçon.
Il mord le ver, soudain sa lèvre est accrochée.
Souvent sous le plaisir une peine est cachée.
LE CONSCRIT ET SON COMMANDANT
Du combat un conscrit fuyait : son commandant
Le traite de poltron; mais soudain le jeune homme :
« Moi poltron, quel mensonge ! oh ! non. je suis prudent. »
Un avare jamais ne se dit qu’économe.
LE MALADE ET SON BÂTON
Un malade sentant renaître sa souplesse,
Jette au feu le bâton qui soutint sa faiblesse.
Combien de députés, à peine réélus.
Sont envers l’électeur plus chiches de saluts.
LE VOYAGEUR ET SON CHIEN
Un voyageur suivait la route, dans la plaine
Courait son jeune chien, en faisant mille tours :
Avant le voyageur le chien fut hors d’haleine.
Il faut savoir marcher vers le but, sans détours.
LE PÈLERIN ET LE MIRAGE
Pour atteindre au désert un séduisant mirage,
Un pèlerin lassé marchait avec courage ;
Le mirage toujours fuyait devant ses pas.
Ainsi l’homme au bonheur marche et ne l’atteint pas.
LE PÊCHEUR ET LA MER
Un pêcheur sur le sein d’une tranquille mer
Sans crainte naviguait, quand un soudain orage
Sur son fragile esquif vint déployer sa rage.
Fuis ce qui, bien que doux, peut devenir amer.
LE NOMBRE ET LE ZÉRO
« Sans moi tu n’aurais pas de valeur sur la terre, »
Au zéro son voisin disait un numéro.
Que de gens ici-bas pour qui leur secrétaire
Fait l’office d’un nombre en avant d’un zéro.
LE ZÉRO RÉPONDANT AU NOMBRE
« Oui, répond le zéro, quand avant toi je passe,
Je ne suis rien ; sur moi lorsque tu prends le pas,
J’ai beaucoup de crédit : n’en résulte-t-il pas
Qu’il faut que, pour valoir, chacun soit à sa place. »
L’APPÉTIT, LA SOBRIÉTÉ ET LA SANTÉ
L’appétit, las enfin de vivre solitaire,
Pour femme prit un jour dame sobriété ;
L’estomac fit, dit-on, l’office de notaire :
Ce fut de cet hymen que naquit la santé.
LA ROSE ET LE SOLEIL
A l’ombre d’un berceau la rose a peine née,
Voulut enfin du ciel contempler la clarté ;
Soudain elle tomba, par le soleil fanée.
Heureux qui vit content de son obscurité.
L’IVROGNE ET LA BOUTEILLE VIDE
Un ivrogne à l’œil terne, à la face livide,
Sur le pavé brisait une bouteille vide.
« Mon crime, quel est-il ? » demandait-elle en vain.
Son crime, hélas ! c’était de n’avoir plus de vin.
LA ROBE ET LE SOLEIL
Une robe était rouge : au soleil on l’étalé,
Et sur elle s’étend une douce pâleur.
Aux rayons bienfaisants de la faveur royale,
Combien d’hommes d’état ont changé de couleur.
L’OISELEUR ET LE BOUVREUIL
Un perfide oiseleur, dans un bois se cachant,
Imite du bouvreuil la voix ; par son doux chant
L’oiselet attiré, dans les filets s’engage.
Le méchant, pour tromper, des bons prend le langage.
LES DEUX VOLEURS ET LE CHEVAL
« Moi, je veux le cheval. » — « Non, j’en fais mon affaire. »
S’écriaient deux voleurs : soudain comme le vent
Part le fougueux coursier ; c’est ainsi que souvent
L’occasion s’enfuit tandis qu’on délibère.
LE SINGE ET L’OURS
Le singe dit à l’ours : « Le destin à la race
D’un petit bout de queue à peine a-t-il fait grâce. »
— « Ma queue est, répond l’ours, plus longue qu’il ne faut.
Nous ne voulons jamais convenir d’un défaut.
LA VOITURE A VAPEUR ET LA CHARRETTE
La voiture à vapeur prompte comme l’éclair,
Riait du pas pesant d’une lente charrette ;
Mais la folle plus loin se brise, éclate en l’air.
Préfère aller moins vite et que rien ne t’arrête.
LE RENARD ET LE CHIEN
«Ah ! monseigneur, voyez, les pleurs de l’innocence ! »
Dit le renard au chien qui, du titre enchanté,
Laisse fuir le renard plein de reconnaissance.
Que de gens généreux par pure vanité.
LA FEMME BAVARDE ET SON MARI
Un mari s’écriait : « Qu’enfin ion caquetage
Cesse, femme, ou sinon je saurai me fâcher. »
Sa femme, nuit et jour, habilla davantage ;
Souffre en paix ce qu’en vain tu voudrais empêcher.
LES FLEUVES ET L’OCÉAN
À l’immense Océan les fleuves de la terre
Se plaignaient de porter leur onde tributaire.
Hélas ! de notre sort leur sort nous avertit :
La mort est l’Océan où l’homme s’engloutit.
LE CHIEN DU CHARBONNIER
Par hasard j’admirai la blancheur d’un caniche
Qui, chez un charbonnier, dormait dans une niche ;
Plus tard je le revis tout sale et noir : ainsi
Au contact des médians l’innocent est noirci.
LE CHIEN, L’AGNEAU ET LE LOUP
Un chien dit à l’agneau : « Fuis, fuis, sans plus attendre,
Voici le loup. » L’agneau broute en paix l’herbe tendre,
Et le loup fond sur lui. Contre un mal à venir,
Tandis qu’il en est temps, sache te prémunir.
LE BOIS, LA FLAMME ET LE SOUFFLET
À la flamme le bois criait : « Miséricorde !
Que tu me fais souffrir en me brûlant ainsi. »
— « Mais, mon cher, au soufflet il faut te plaindre, aussi ?
Car coupable est celui qui souffle la discorde. »
L’HIRONDELLE
Une jeune hirondelle, au retour du printemps,
Cherchait son ancien nid pendant à ma fenêtre.
Après avoir au loin, comme elle, erré long-temps,
L’homme revient toujours au toit qui le vit naître.
LE CHEVAL
Certain cheval boiteux criait avec fierté :
« Une jument célèbre en ses flancs m’a porté. »
On voit encor des gens, par orgueil et faiblesse,
A défaut de mérite, étaler leur noblesse.
L’OISEAU CAPTIF
« Autrefois de la faim tu souffrais dans la plaine ;
Ta cage maintenant de mets est toujours pleine,
Et pourtant, bel oiseau, tu n’as plus la gaîté ;
Que te manque-t-il donc, réponds ? » — La liberté !
LE PAPILLON ET LA CHANDELLE
Un joli papillon voyant une chandelle,
Admirait son éclat, voltigeait autour d’elle :
Or, bientôt s’y brûla cette tête à l’évent.
De ce qui brille il faut se méfier souvent.
L’AVOCAT
Un avocat courait au palais, haletant :
Sans doute pour plaider une importante affaire ;
Non, car c’était Motus, l’avocat consultant.
Tel qui fait l’empressé n’a souvent rien à faire.
LE TRAVAIL, L’OISIVETÉ ET LA RAISON
De son pénible sort le travail gémissait,
Et dame oisiveté dans l’ennui languissait ;
« Mes chers enfants, leur dit la raison, il me semble
Qu’il faut, pour vivre heureux, que vous viviez ensemble. »
LA VERTU, L’HONNEUR ET LE CRIME
L’honneur et la vertu voyageant sur la terre,
Rencontrèrent le crime en un bois solitaire :
Or, la vertu du crime ayant serré la main.
Seul ensuite l’honneur poursuivit son chemin.
LES DEUX LIVRES
Un livre à tranches d’or, velu de maroquin,
Rougissait de se voir près d’un sale bouquin :
Qu’était notre élégant ? un roman éphémère ;
Et son voisin poudreux ? l’Iliade d’Homère !
L’ARAIGNÉE ET LE VER A SOIE
Au ver, dame Arachné dit : « Je ne te vaux pas ;
Dans notre art de filer, je ne suis qu’une élève. »
— « Oh ! non, répond le ver, je te cède le pas. »
Tel s’abaisse souvent, pour qu’un antre l’élève.
L’ESQUIF
Sur le dos de la vague un esquif jusqu’aux cieux
S’élance avec orgueil, mais bientôt il retombe ;
Sous lui la mer s’entr’ouvre, et la mer est sa tombe.
Le flot est la faveur, l’esquif l’ambitieux.
LA ROSE ARTIFICIELLE
La rose, enfant de l’art, dit d’un air de grandeur :
« Vraiment on me croirait la rose naturelle. »
— « Oh ! non, n’espère pas qu’on te prenne pour elle,
Lui répondit quelqu’un, tu n’as pas son odeur. »
LA SOTTISE
Dans une académie un jour se présenta
La sottise : tu crois qu’elle y fut importune ;
Détrompe-toi, lecteur, pour membre on l’adopta
Sur un certificat signé par la fortune.
LE MENDIANT, L’ENFANT ET SON PÈRE
Au pauvre qui lui dit : « C’est en vous que j’espère ; »
Un jeune enfant répond : «Vous reviendrez plus tard. »
— « Non, non, donne à l’instant, réplique alors son père .
C’est obliger deux fois qu’obliger sans retard. »
LE SECRET ET L’ÉCHO
L’écho fut d’un secret rendu dépositaire,
Et bientôt le bavard l’ébruita sur la terre.
Désires-tu qu’un autre observe ton secret.
Il faut savoir d’abord toi-même être discret.
LE TYRAN ET LES DEUX ASSASSINS
Sur un tyran un homme avait levé son glaive,
On le pend. Ce tyran plus tard tombe abattu
Par un autre assassin qu’aux honneurs on élève.
Le succès bien souvent change un crime en vertu.
LE PAON ET LE ROSSIGNOL
Tandis que seul un paon admirait son plumage,
Du rossignol la foule avec avidité,
Dans un bois écoutait l’harmonieux, ramage,
Les talents valent mieux cent fois que la beauté.
LE LION ET LE RENARD
Un renard voit un bœuf qu’un lion étranglait.
« En vérité, dit-il, c’est par pure bêtise,
Que j’ai scrupule, moi, de croquer ce poulet. »
Des actions des grands le petit s’autorise.
L’ENFANT ET LE BALLON
Un enfant qui lançait son ballon dans la plaine,
Voulut savoir de quoi la vessie était pleine ;
Il la crève aussitôt : qu’y trouve-t-iI ? du vent ;
Ce ballon gonflé d’air ressemble aux faux savant.
LA PLUME DE FER ET LA PLUME D’OIE
Plume de fer, un jour, disait à plume d’oie :
« Comment donc se fait-il que l’homme me rudoie,
Tandis qu’avec douceur je le vois te choyer ?»
— « En voici la raison : Tu ne sais pas ployer» »
LE LOUP ET L’AGNEAU MALADE
Un jeune agneau souffrait : « Bois cette eau salutaire,
» Lui dit un loup. Alors l’agneau se désaltère
Et du poison soudain il ressent les effets,
Sache d’un ennemi redouter les bienfaits.
LE RAT, SANS QUEUE
Un rat coupa sa queue, à son dire, incommode,
Et bientôt chaque rat se la fit arracher.
L’on verrait nos dandys sur un seul pied marcher,
Si marcher sur un pied devenait à la mode.