Un homme débouché, si jamais il en fut,
Cuvait dans son lit son ivresse ;
A la fin de son somme il eut
Un songe qui remplit son Âme de tristesse :
Il voyait toute sa maison
Dans la plus affreuse misère,
Ses malheureux enfants avec leur pauvre mère,
Sans pain, sans pâte, sans tison ;
Et, pour comble d’infortune,
Des huissiers insolents la cohorte importune
Qui, le prenant de force et d’horrible façon,
Le traînait lui-même en prison,
Au milieu du plus grand tumulte,
L’accablant d’outrage et d’insulte.
Il s’éveille en sursaut dans celle anxiété :
« Oh! je rêve, dit-il, en frottant ses paupières,
Ou, si c’est la vérité.
Je suis en piteuse affaire.
En prison, moi qui tant aime la liberté?
Cela ne m’arrangerait guère».
Si c’est quelque Divinité
Qui, pour me garantir, m’a suscita ce songe,
Je te rends grâces à sa bonté ;
Quoique je sache bien que tout songe est mensonge,
Dans ce moment je dis à la boisson
Un éternel adieu : que Bacchus et sa suite
Aillent au diable ! ma conduite
Sera toujours conforme à la raison.
Adieu, bouteilles, je vous quille :
Je crains trop la misère, encore plus la prison. »
Ivrognes, pratiquez cette belle leçon.
“Heureux Songe”
Le Foyer des familles. Magasin catholique illustré, L. Hachette et Cie, 1850