« Jeanne, regagnons le village;
Écoute, il tonne; il va pleuvoir.
Vois-tu ce gros nuage noir
S’avancer vers nous? C’est l’orage!
Comme des peupliers s’agite le feuillage !
Tu ne me réponds pas?…Eh bien, Jeanne, au revoir.»
Et, sourde au conseil que lui donne
Oda, qui prudemment se sauve et l’abandonne,
Jeanne, le long des blés, du vent frêles jouets,
Va, s’amuse à cueillir des pavots, des bluets,
Pour se tresser une couronne.
« Bien, bien, se dit l’enfant, plongeant à chaque pas
Sous les épis sa tète brune ;
Certes, les fleurs ici ne me manqueraient pas
Pour trois couronnes au lieu d’une.
Mais, tiens , j’en vendrais deux !… Voyons : combien chacune?
L’idée est, ce me semble, assez bonne : cueillons,
Cueillons toujours… et puis… à la fin nous verrons. »
Soudain, au plus beau de son rêve,
Avec d’affreux éclats le nuage qui crève
A flots précipités verse pluie et grêlons !
Jeanne, aussi pâle qu’une morte,
Part, vole, sa tremblante main
Laissant tomber par le chemin
Et pavots et bluets qu’en grondant l’onde emporte,
Perd ses souliers d’étoffe en sautant un ruisseau ,
Et, le corps meurtri, percé d’eau,
Haletante arrive à sa porte.
Vous que le inonde enchaîne à ses attraits flatteurs.
Comme l’enfant qu’un rien amuse, prenez garde :
Dans un lâche abandon malheur à qui trop tarde
A quitter ses plaisirs trompeurs !
Le gros nuage noir qui sur vos têtes plane,
C’est la mort! Hâtez-vous : plus prévoyants que Jeanne,
De peur d’être surpris, profitant des instants,
Quittez ces vains bluets qu’un jour fait naître et fane,
Et, comme Oda dans sa cabane, En vous-mêmes rentrez à temps.
“Jeanne et les Bluets”