Jean-Joseph Monmoreau
Poète et fabuliste XIXº – La carpe et le carpillon
— Quel est ce monstre à la gueule enflammée,
Ivre de rage, au corps de fer ?
Sa légère vapeur et sa noire fumée
Obscurcissent les champs- de l’air ;
Au sein de son foyer, l’onde écume, bouillonne ;
Il creuse sur les flots un tortueux sillon.
Fuyons, mère, fuyons ; la prudence l’ordonne, —
C’est ainsi que parlait un jeune carpillon
A l’aspect d’un vaisseau dont le rude équipage
Éveillait par des cris les échos du rivage. —
Ce monarque, mon fils, sujet de ton effroi,
Ne prétend pas nous déclarer la guerre ;
Cette barque, explorant nuit et jour la rivière.
Remplit un plus perfide emploi.
Le silence à son bord est de mauvais présage ;
Son calme est un calme trompeur :
Tandis que le patron la conduit en vainqueur,
Les pécheurs sans pitié nous prennent au passage.
Sais-tu quel est notre destin ?
Je n’ose te le dire en ce péril extrême :
Sur la table des grands, au retour du carême,
Carpes et carpillons font l’honneur du festin.
Les habitants de l’onde sont à plaindre ! —
Les gens sans bruit, à l’air tranquille, patelin
Ne sont-ils pas les plus à craindre ?
Jean-Joseph Monmoreau, Janvier 1867