La chenille voulut jadis
Avec le ver à soie entrer en concurrence,
Et, par une extrême arrogance,
De son travail lui disputer le prix.
Sans tant de vains discours. choisissons un arbitre,
Lui dit le ver d’un ton plus doux ;
Que l’homme seul, sur ce chapitre,
Ait droit de juger entre nous.
Moi, j’y consens, répond cet orgueilleux insecte ;
La justice, en ce cas, ne sera pas suspecte.
A se former une prison,
A l’envi, dès l’instant, ils travaillent sans cesse :
L’une dans son tissu met toute son adresse ;
L’autre, en faisant son peloton,
A la solidité joint la délicatesse ;
Rien n’est si beau que sa riche toison.
Plus ils avancent leur ouvrage,
Plus ils approchent de la mort ;
Pour l’un c’est un funeste sort ;
Pour l’autre c’est un avantage.
Le procès sans appel est bientôt terminé ;
Le fil de la chenille est au feu condamné ;
Mais la coque du ver est cueillie avec joie,
Et passe dans les mains d’un ouvrier fameux
Qui, voyant de cet art le tissu merveilleux,
A l’usage des rois le destine et l’emploie.
Ceci s’adresse à vous, ambitieux auteurs
Qui pensez égaler & Racine & Molière,
Mais dont les froids écrits, rebut des acheteurs,
A peine mis au jour, volent chez la beurrière,
Ou reçoivent du feu leur plus grande lumière.
En vain leur cherchez-vous quelques approbateurs ;
On conçoit le prix d’un ouvrage,
Par le débit & par l’usage.
« La Chenille et le Ver à Soie »