Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n’est rien :
C’est une femme qui se noie. »
Je dis que c’est beaucoup ; et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu’il fait notre joie.
Ce que j’avance ici n’est point hors de propos,
Puisqu’il s’agit en cette Fable,
D’une femme qui dans les flots
Avait fini ses jours par un sort déplorable.
Son Epoux en cherchait le corps,
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.
Il arriva que sur les bords
Du fleuve auteur de sa disgrâce
Des gens se promenaient ignorants l’accident.
Ce mari donc leur demandant
S’ils n’avaient de sa femme aperçu nulle trace :
« Nulle, reprit l’un d’eux ; mais cherchez-la plus bas ;
Suivez le fil de la rivière. »
Un autre repartit : « Non, ne le suivez pas ;
Rebroussez plutôt en arrière :
Quelle que soit la pente et l’inclination
Dont l’eau par sa course l’emporte,
L’esprit de contradiction
L’aura fait flotter d’autre sorte. »
Cet homme se raillait assez hors de saison.
Quant à l’humeur contredisante,
Je ne sais s’il avait raison ;
Mais que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu’au bout contredira,
Et, s’il peut, encor par-delà.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 25…..Assez hors de saison. C’est mon avis, et je ne conçois pas pourquoi La Fontaine s’est donné la peine de rimer cette historiette assez médiocre. (La Femme noyée)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Cette jolie pièce de vers est moins un apologue qu’un conte ou fabliau. On en a mêlé quelques-uns parmi les fables ; mais ces apologues de contrebande n’ont rien ici dont la morale et la religion puissent s’offenser. Avec l’innocence de l’apologue, ils en ont aussi la grâce. Conteur ou fabuliste, La Fontaine est toujours l’écrivain sans rivaux et sans successeurs.
(1) Je ne suis pas de ceux qui disent, etc. Existe-t-il quelque part exorde où une plus fine plaisanterie soit déguisée sous un air de bonne-loi plus ingénue? La naïveté du poète est telle, qu’elle se communique à son lecteur, et laisse son opinion, indécise sur le jugement à porter d’un sexe dont on dit et tant de bien et tant de mal.
(2) Et ce sexe vaut bien, etc. Avoit-il sous les yeux ce vieux fabliau de Constant Duhamel, où on lit: «Je dis que les dames sont l’ouvrage du créateur, le plus agréable comme le plus utile, et je soutiens en conséquence qu’on ne sauroit assez les honorer ». ( Fabliaux de Legrand, T, IV. p. 237. )
(3) Rebroussez plutôt en arrière. On dit rebrousser chemin, et retourner en arrière. (4) Et jusqu’au bout contredira, Et S’il se peut encor par-delà. C’est le mot de Faerne : Morosa et discors vel mortua litigat uxor. Mais quand on est au bout, le moyen d’aller plus loin? Cest précisément l’exagération qui fait le sel de l’épigrairime. Si l’on disoit : les femmes parlent jusqu’à la mort, il n’y auroit à cela rien de malin. Dites qu’elles parlent vingt-quatre heures après la mort, et ce proverbe devient un trait de satyre raisonnable.