Jean Anouilh
Écrivain et dramaturge et fabuliste XXº – La Fille et le Loup
Une fille tomba amoureuse d’un loup
Qu’un montreur d’animaux exhibait sur la place,
Le jour de sa noce, au village.
Il était fier et sombre et de mauvaise grâce,
Il faisait quelques tours navrants,
Ne semblant pas sentir les coups.
Voir un loup enchaîné redonne du courage
Au cœur mou des petites gens :
Dans le cortège, on s’amusait beaucoup.
Les lourds garçons d’honneur lui faisaient des grimaces,
Chacun rivalisait de bons mots et d’audaces ;
La mariée ne disait rien.
C’était un triste mariage,
Elle était belle, pure et sage,
Elle épousait un jeune richard du village,
Mal formé – avec la bénédiction des siens.
C’est le sort des filles sans bien.
Pendant que l’homme, fouet en main,
L’obligeait à faire sa danse,
Le regard du loup et le sien,
Se croisèrent dans le silence…
Ayant jeté sa maigre obole au bohémien
La noce l’entraîna vers les réjouissances
Interminables du festin,
Le principal de la cérémonie, en France.
Elle fut déflorée à la fin du repas.
Mais, pendant la nuit, laissant là
Le mari qui ronflait après le sacrifice,
Insoucieuse du sang qui coulait sur ses cuisses ;
Elle alla jusqu’à la roulotte endormie,
Ouvrit au loup et le suivit dans la forêt
Pour y devenir son amie…
Le lendemain le scandale éclatait.
Les paysans armés partirent en battue.
On retrouva la fille demi-nue
Qui dormait près du loup. On les prit tous les deux.
Le loup fut égorgé et la fille jugée.
Quand on lui demanda ce qui l’avait poussée
A bafouer ainsi les Dieux ;
Les regardant bien dans les yeux,
Son mari haut comme trois pommes,
Le curé bedonnant, le juge fielleux,
Les paysans niais et communs,
Elle le leur dit : « J’aime les hommes,
Et seul le loup en était un. »
Jean Anouilh