On aime à voir un héros, un génie,
Par des habitudes, des goûts,
Rentrant dans la commune vie
Se rapetisser près de nous.
J’aime à voir Alexandre auprès d’un Diogène ;
Mais j’aime mieux voir un Philopémène
De son hôte fendant le bois ;
J’aime encor mieux voir deux de nos grands rois,
Oubliant de leur cour la splendeur souveraine,
Des ingrats l’intrigue ou la haine,
L’un, ayant son enfant à cheval sur son dos,
Et l’autre patrouillant la pâtée à sa chienne.
Mais, puisque ces grands noms ici nous font défauts,
Je vais rentrer dans mon domaine.
Et vous citer de La Fontaine,
(Car vous savez qu’il est, lui, mon héros,)
Un trait de cette bonhomie
Qui du bon, de l’aimable Jean
Fait encor plus admirer le génie.
Depuis un mois un charlatan
Faisait foule, parlant, agissant en prophète.
Il devait de son coq vivant
Couper, trancher et séparer la tête,
Et la lui remettre à l’instant.
Ressusciter ainsi la pauvre bête,
Voilà, messieurs, voilà le surprenant,
Le merveilleux ! l’admirable !… Pourtant
Le bon public est toujours attendant.
Chaque jour un petit obstacle,
Des tours nouveaux suivait un nouveau tour,
Il remettait de jour en jour
L’opération du miracle.
La Fontaine ennuyé s’en plaint. Il se plaint haut
Du charlatan et de tout son mystère.
Que j’aurais voulu voir sa mine, entendre un mot
Peignant son dépit, sa colère !
Quoi ! lui dit un jeune grimaud,
Est-ce que vous croyez, monsieur de La Fontaine,
Qu’il ressusciterait son coq ?
Oh ! c’est une calembredaine
Bonne au plus pour quelque marmot.
Oh bah ! dit l’ami Jean, quel conte !
Depuis près d’un mois, moi, j’y compte,
Il nous fait croquer le marmot.
Du public se jouer ainsi, c’est une honte.
Tous de rire ; et pourtant Jean n’était pas un sot.
D’être sot comme lui, je ferais bien mon compte.
“La Fontaine et le Charlatan”