Une actrice débuta ;
D’abord ce fut un prodige,
Tout concouroit au prestige ;
Le parterre l’adopta ;
Jeu naturel, voix sonore,
Traits naissants dignes de Flore,
Lui promettaient un destin
Plus flatteur, plus doux encore
Qu’à Dangeville ou Gaussin.
Elle offroit le choix des armes,
Et son talent séducteur
Tour à tour portoit au cœur
Ou la joie ou les alarmes.
Dans Zaïre sa douleur
Vous eût arraché des larmes ;
Coup sur coup dans le Grondeur
Soubrette pleine de charmes
Elle eût par son ris moqueur
Forcé votre sombre humeur.
Un amant millionnaire
Dérangea ce beau début ;
C’étoit un homme à chimère,
Prodigue et dur s’il en fut.
Un jour que dans Rodogune
Elle comptoit triompher,
Ce mignon de la fortune
Vint, voulut la voir coeffer.
Flatté de la voir si belle,
Il lui dit : Depuis long-temps
Vous voulez des diamants ;
Cette offre vous plaîroit-elle ?
A ces mots sur ses genoux
Nonchalamment il déploie
Un écrin plein de bijoux,
Collier, boucles, petite oie :
Prenez, ces riens sont à vous…
Rodogune prend sa proie,
Son cœur nage dans la joie,
Et par ce fonds de gaité
Tout son rôle fut gâté.
Mais, pour avoir sa revanche,
Elle désigne un dimanche,
Et veut dans l’Homme du jour
Du public fixer l’amour.
Par malheur, las du ménage
L’amant quinteux et sauvage,
Au Surplus un peu jaloux,
Vient chez elle, fait tapage,
Déchire les billets doux,
Prend l’écrin tout en courroux.
Le rôle de la baronne
Se sentit du contretemps :
Le parterre s’en étonne,
Il rit, mais des contre-sens ;
Et l’actrice qui soupire
S’épuise sans pouvoir rire.
Enfin, pour comble de maux,
On la renvoie à Bordeaux.
De tout ceci que devons-nous conclure ?
Une leçon utile en bien des cas :
Êtes-vous libre et sans nul embarras,
Permis à vous d’écouter la nature
Et de pleurer ou de rire tout bas :
Mais en public s’agit-il de paroître,
Aux passions n’ouvrez plus votre cœur,
Tenez-vous calme, écartez toute humeur ;
Qui vous mesure est quasi votre maître.
Soyez égal, respectez vos emplois,
Si vous servez le public ou les rois.
“La nouvelle Actrice”