François Richard-Baudin
Poète et fabuliste XIXº – La poule qui fait des œufs
Le conte fait passer le précepte avec lui.
Un enfant disait à sa mère :
Que j’aime mon serin ! C’est un charmant oiseau ;
Écoutez comme il chante et voyez qu’il est beau !
Ne lui trouvez-vous pas un joli caractère ?
Dès qu’il a commencé sa petite chanson,
Il semble que notre maison
S’égaie et prenne un air de fête ;
Le soleil, plus riant, vient caresser ma tête,
Et moi, je chante aussi ! — Mais ma mère, à quoi bon
Ces poules au vilain plumage,
Qui, loin de racheter, par un brillant ramage.
Leur ennuyeux aspect, joignent à la laideur
Un aigre gloussement dont mon oreille a peur ?
Nous devrions nous en défaire,
Et remplir le logis de ces petits serins,
Qui ne sauraient manquer de plaire
Avec leur gentillesse et leurs joyeux refrains.
— Ce que dit mon Alfred est-ce un propos bien sage,
Répond la bonne mère, en pressant sur son cœur
Ce cher enfant, l’unique gage
Du doux et chaste amour qui faisait son bonheur ?
Ton serin est gentil : sautillant dans sa cage,
Du malin jusqu’au soir, il chante on ne peut mieux :
Comme toi, mon enfant, dont il offre l’image,
Il charme l’oreille et les yeux.
C’est là tout son mérite : il me semble futile.
La poule, objet de ton dédain,
Malgré ses gloussements, est cent fois plus utile
Que le plus aimable serin.
Elle nous pond les œufs où tu mouilles ton pain ;
Elle est le trésor du village,
Et ses nombreux poussins ont bien leur agrément.
Que nous fait, après tout, sa voix ou son plumage.
Si dans l’humble cabane où souffre l’indigent,
Ses œufs et ses petits apportent quelque argent ?
Ne préférons jamais l’agréable à l’utile.
Ce conseil est bien vieux : qu’importe, s’il est bon,
Si plus d’un le néglige aux champs comme à la ville,
Quoiqu’il porte barbe au menton ?
Voyez le cabinet de maint grand personnage,
Entrez au parlement, assistez à ces cours
Où va s’instruire le jeune âge,
Et répondez, messieurs, nous règle-t-il toujours ?
Là, nous nous laissons prendre à l’éclat du langage ;
Bien plus que la raison, nous consultons les yeux.
Souvent nous préférons, ce qui n’est pas très sage,
La grâce du serin et son joli ramage
A la poule qui fait les œufs.
François Richard-Baudin