En temps sec , un Pré languissoit ;
A son Patron , qui près de lui passoit ,
Il dit un jour : D’un peu d’eau, je vous prie,
» Humectez mon herbe flétrie,
» Ou bientôt je ne serai plus.
» Vous n’ignorez pas au surplus ,
» Que le ruisseau qui dans ces plaines
» Va promenant à rives pleines
» Son crystal parmi ses Roseaux,
» Me doit une part de ses eaux.
» Par une légere tranchée,
» Sur ma surface desséchée,
» Sans perdre temps, faites courir
» Ma part de cette eau salutaire,
» Qui seule peut me secourir.
A ces mots ( car la soif le força de se taire )
Le Patron dit. » Sois moins impatient :
» Ne crains pas que je t’abandonne ,
» Je te rendrai ton œil riant ;
» Mais à d’autres travaux il faut que je me donne,
»Ton tour viendra. Ce tour vint; m ais alors
Du Ruisseau les arides bords ,
Le milieu , le fond , étoient vuides :
D’autres Terres toujours avides ,
L’avoient sans relâche asséché.
Ainsi, ce moyen retranché,
Il se vit forcé de dépendre
De ces communs & lents secours
Que les Astres, suivant leur cours ,
Sur tous les champs daignent répandre.
Enfin une pluie arriva,
Mais sa tardive eau ne trouva
En la place de la prairie,
Autrefois riante & fleurie ,
Qu’un champ poudreux ,et cetera.
Que mes Lecteurs se ressouviennent,
Que les secours trop lents ne sauroient réjouir:
Sont-ce des biens, que les biens qui ne viennent
Que lorsqu’on n’en peut plus jouir.
“La Prairie et le Ruisseau”