Socrate aurait voulu, nous raconte l’histoire,
Que chacun s’estimât à sa propre valeur,
Et j’ai dit quelque part, si j’ai bonne mémoire,
Que pour beaucoup ce serait un malheur.
La preuve de mon dire est que le Créateur,
Qui savait bien que notre pauvre monde
Serait aux trois bons quarts peuplé de vaniteux,
(Vous êtes, il n’est point douteux,
Lecteur, de l’autre quart), nous fit la terre ronde
Et voulut que la pesanteur
Vers le centre attirât les choses et les hommes ;
De sorte que le point qui domine en hauteur
Tous les autres, pour nous, c’est le point où nous sommes.
Tout va donc à souhait et nous aurions grand tort
De nous plaindre de notre sort.
Si le voile venait jamais à disparaître,
Quelle triste mine feraient
Tant de gens qui s’apercevraient
Qu’ils n’ont été rien moins que ce qu’ils pensaient être!
La terre est ronde. Sur son dos,
La bonne mère
Porte tous ses enfants, les sages et les sots:
Amis, m’en croyez-vous? Laissons tourner la terre.
Ce que Dieu fait, il le fait bien ;
Nous n’y changerons rien.
Pour moi, j’admire en nous sa sagesse éternelle.
Pourrions-nous désirer quelque chose de mieux ?
L’homme se croit savant aussitôt qu’il épèle,
Et l’huître sur son banc ne voit au-dessus d’elle
Que la voûte des cieux !…
“La Terre est ronde”