Charles Porphyre Alexandre Desains
Après de longs revers, dame Tortue un jour
Est mise à la retraite en une basse-cour.
La volaille en émoi s’effraie à cette vue ;
Comme oiseau courageux la Poule peu connue
Alors se gardait d’approcher
Ce dôme inanimé que l’on voyait marcher.
La peur voit tout en noir et jamais ne raisonne ;
Car la Tortue est bien la meilleure personne
Que l’on puisse trouver parmi les animaux.
Au bout de quelque temps, les timides oiseaux,
Voyant que l’étrangère était loin d’être à craindre,
Voulurent de ses maux entendre le récit.
Plus d’une Poule la plaignit ;
On est bien près d’aimer ceux que l’on vient de plaindre,
On l’aima petit à petit,
Et l’inoffensive amphibie,
Par un accord touchant et neuf,
Obtint au poulailler le droit de bourgeoisie.
Un jour, ne croyant pas manquer de courtoisie,
La Tortue, à son tour, se mit à pondre un œuf.
Toute pondeuse alors contre elle se déchaîne. ‘
Ce sont des coups de bec, ce sont des cris de haine
Mille fois répétés par la foule en courroux :
Voyez le bel oiseau pour frayer avec nous,
Disait une jeune Poulette ;
Sans doute à notre Coq elle fait les yeux doux ;
9ui sait si cette bonne emplette
N’aura pas la prétention
De fournir le logis, en toute occasion,
D’œufs à la coque et d’omelette ?
La mort ! et plus de charité
Pour ces oiseaux à quatre pattes
Qui viennent pondre en nos pénates
· Et violer les lois de l’hospitalité.
Mesdames, dit un Coq, soyez plus généreuses :
Loin de vous montrer envieuses,
Gardez-vous de placer au rang de vos malheurs
Les succès qu’obtiennent les autres ;
Si quelque talent brille ailleurs,
Est-ce donc aux dépens des vôtres ?
La Tortue a fait bien, tâchez de faire mieux,
Elle pondit un œuf, eh bien ! pondez-en deux !
Charles Porphyre Alexandre Desains, (1789- 1862)